Pris par de nombreuses autres contraintes, je n'avais pas pu écrire mon CR avant ces vacances... je le poste donc en article à part entière plutôt qu'en commentaire de l'article initial où est présent le récit de Karl, sinon personne ne le retrouverai ... Coquin

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Prologue :

La « diag »… c’est là que j’ai fait mes premières armes d’ultra trail en 2012, c’est là que ma vision du monde et de ma vie a changé.

Cette année-là j’avais décidé de me lancer de façon irraisonnée sur la distance de 170km et ce parcours mythique après seulement une préparation avec le 83km difficile de l’Andorra et de la rando montagne. L’appel de l’inconnu était trop fort ! J’étais parti très prudent en privilégiant fortement la marche et en tirant sur le sommeil par rapport aux barrières horaires. Malgré des conditions météos très difficiles (20 premières heures sous la tempête tropicale et des chemins détrempés et remplies de boue sur d’interminables kilomètres), j’avais fini par rallier en un peu plus de 61h le stade de la redoute… dont seulement environ 1h20 de sommeil et avec de véritables hallucinations lors de la troisième nuit !

Ce fut donc une rencontre avec moi-même, ces longues heures à réfléchir sur soi auront fait fortement évoluer par la suite mon rapport aux autres et au travail.  En plus de cela, j’ai fait des rencontres humaines extraordinaires sur cette île en étant parti avec seulement mon sac à dos, ma tente et une voiture de location à la rencontre des gens.

Je savais donc que je retournerais un jour refaire cette course et en l’espace de quelques années, j’ai accumulé de l’expérience sur ce format de course.

L’envie est bien là lors de l’inscription et quelques amis du club sont motivés et du voyage. On étudie la possibilité pour ma compagne Audrey de m’accompagner mais le budget ne le permet malheureusement pas, je partirais donc seul cette fois encore.

Avant course :

Je retrouve dans l’avion à Paris le lundi 12 octobre mon ami Ben qui rentre à la Réunion après un long séjour en métropole… et nous revoila à peine atterris repartis en vadrouille sur l’île entre soirées, petites randonnées, rencontre avec Laurent, retrouvailles avec Nico l’ami luthier au grand cœur qui m’avait hébergé une bonne partie de mon premier séjour et me propose de ré-occuper avec Ben sa maison à Saint Joseph dans le sud sauvage pendant qu’il va partir à Berlin pour une rencontre de lutherie. Lulu, Richard et Christine sont arrivés aussi et il me vient l’envie de m’immerger seul dans cette nature… je me lance donc avec mon nouveau sac de 20 L rempli de 2L d’eau et 1 kg de nourriture (700g de saucisson et 300g de madeleines :-D ), avec tarp et duvet pour un parcours rando bivouac commando le vendredi 16 octobre à midi depuis le village de Grand Anse où m’a déposé Ben. L’objectif initial est de me faire une grosse sortie sur 2 voire 3 jours. Une montée de 5h sans croiser âme qui vive jusqu’au volcan par des chemins peu empruntés. Le volcan est en éruption et j’observe le spectacle grandiose du haut du piton rouge pour ne pas me mêler à la foule grouillante sur le rebord de la caldeira (après ces heures seuls, pas du tout envie de foule). Je remonte le chemin vers le parking, puis file à travers la plaine des sables en courant et j’y retrouve avec un grand plaisir ma solitude. Une longue nuit assez humide mais étoilée où je n’ai pas envie de m’arrêter pour traverser la plaine des cafres et remonter sur le coteau maigre. Je suis juste tellement bien. Un petit bivouac improvisé sur le coteau Kerveguen juste sous le refuge de la caverne Dufour vers 4h, seul au monde et les premiers rayons du soleil me réveille vers 5h … ambiance de premier matin du monde. Une montée au piton des neiges en croisant à la montée Lulu, Riri et Christine qui en redescendent et un genou gauche qui me tire anormalement sur les 200 derniers mètres d’ascension (arg bizarre et pas rassurant)… le spectacle en haut à 3070m est simplement grandiose (et un peu frais en short-tee-shirt et coupe-vent aussi)… vue sur l’océan à 360° et les cirques magnifiques à mes pieds de tous côtés. Redescente avec pause bière au refuge et j’arrive quelques heures plus tard à Cilaos où je profite de la fête de la lentille avec quelques bières dodo pressions. J’avais un moment hésité à repartir sur le Taïbit pour ressortir par le Maïdo, mais l’alerte au genou m’invita à la prudence… retour en bus après une belle rando de 65km et 4300m de D+ bouclé en 23h50 (trace https://www.strava.com/activities/414823679 où il manque la fin de la redescente).

Puis quelques déplacements sur l’île à l’aide des bus jaunes, un repas très sympa sur Saint Pierre avec Lulu et Francine le lundi 19 en faisant mes emplettes cadeaux et nous voilà à nous retrouver tout le groupe autour de l’équipe des Rhumattisants le mercredi 21 à Saint Pierre pour un repas (HP, Laetitia, leurs enfants Jean Baptiste et Oyanna, Richard, Christine, Lucien, Francine, Karl, Katia, Nicolas un ami de Karl que je ne connaissais pas encore et ma pomme) avant le retrait des dossards…

Au repas, on trouve 2 écoles parmi les coureurs :

-        Les « confiants » (Lulu, Karl et moi) qui carburent à la dodo

-        Les « prudents » (HP, Laeti et Nicolas) qui préfèrent rester à l’eau

Hop délicieux repas englouti, et queue pour récupérer les dossards, puis marche en front de mer et petit apéro dodo supplémentaire improvisé pour prendre des forces pour les confiants… chacun rentre dans son hébergement et rendez-vous pris le lendemain vers 19-20h dans le sas de départ (pour départ à 22h)

Course :

Ben me dépose à quelques centaines de mètres du départ, je suis en avance et rentre dans le sas il doit être 19h après une rapide vérification du matériel obligatoire. J’ai 3 heures à tuer avant le départ, je fais le tour voir si Lulu n’est pas là. Je m’assois sur un banc près de l’entrée et je m’isole dans ma bulle en me concentrant sur le bruit des vagues. L’attente est longue mais je suis content d’être là. Quelques cafés et pipis plus tard, les autres arrivent et nous rejoignons Lulu en fait déjà positionné vers les avant-postes près de la scène de concert. On papote et rigole un peu, je me sens détendu même si j’ai un peu d’appréhension sur la tension du genou gauche ressenti sur le piton des neiges il y a quelques jours et sur une tension qui est revenu plusieurs fois sous le pied droit au niveau de l’aponévrose depuis le mois d’avril et pour laquelle j’ai fait plusieurs fois des ultra-sons chez le kiné.

L’attente est longue. Le sas se remplit, on nous annonce 2500 au départ. Les chanteurs créoles se succèdent puis ce sont les discours des officiels. Vite qu’on parte ! Une bonne averse fait son apparition et oblige à sortir la veste jusqu’à quelques minutes du départ au son lancinant d’un chanson « Allons Allons band’ di raideurs » dont le refrain nous hanteras toute la course

Le compte à rebours cafouille un peu avec un lâcher en 2 temps suite à une grosse coupure d’électricité juste avant le départ… bon allez pan, c’est parti !

Il y a un monde fou le long de la route et même un feu d’artifice en longeant le port de Saint Pierre. Ça part vite, autour de 10-11km/h, avec tout le barda. C’est long la portion de route et ça ne ralentit pas. Je scanne mon corps mentalement pour avoir les premières sensations, je me trouve un peu en surrégime à cette allure vu ce qui nous attends mais ça va bien. J’aperçois Laeti, HP, Karl et Nicolas juste derrière moi en me retournant (je les avais perdu juste avant le départ pour un dernier pipi. Je souris, j’ai la banane :-D

La pente s’élève doucement et ça courre partout sur route puis au milieu des cannes à sucre, la nuit est profonde mais le serpent des lumières monte devant moi. Je m’arrête pisser au bout de 5-6 km et repart au moment où laetitia suivi d’HP me double. Laetitia a l’air facile et HP tire la tronche. Il me lâche « elle va me tuer à ce rythme-là ». Je les re dépasse et avec la pente qui se raidit, on commence à alterner marche et course, mais ça court encore jusqu’à 5-6% de pente. Je commence déjà à trouver mes jambes lourdes à ce rythme… Seconde pause pipi vers le km 10-11 et même scenario avec Laetitia, puis HP tirant la langue qui me doublent pendant cette pause. Je rattrape HP juste en vue du premier ravito. On a fait beaucoup de route en proportion et je préférais vraiment le début de parcours depuis Saint Philippe en 2012 qui était plus sauvage au bout de seulement 3-4 km.

Pointage Montvert les hauts-Domaine Vidot à 23h55, soit 1h55 de course pour parcourir les 14km avec presque 700m de D+, ça bourrine… et pourtant je suis seulement 1358° sur 2500

 

HP m’apprends que Nicolas est devant (je l’ai pas vu me doubler, je pensais qu’il était derrière) comme Lulu mais ça je m’y attendais. Laetitia se pose pour re-remplir en eau. Moi j’ai encore au moins 1L d’eau dans le sac en ayant fait le choix de partir avec la poche pleine. Je prends seulement 30s pour avaler un verre de coca et manger 2-3 morceaux de bananes pour repartir tout de suite. On m’avait dit qu’il y aurait des embouteillages à Domaine Vidot et comme il n’y en a pas eu avant, je suppose qu’ils sont juste après.

On s’enfonce en effet vite dans des chemins étroits après le ravito et ça bouche un peu ponctuellement de-ci de-là sur cette montée où l’on ne pourrait de toute façon pas beaucoup courir. A chaque fois, c’est 30s à 1 min arrêté, rien de méchant. La course commence réellement maintenant avec ce rythme de marche. Au bout d’un temps assez long, 2 bouchons un peu plus longs (le premier 5 à 10 min, le second plutôt 10-15 min) pendant lesquels on discute beaucoup, on rit et même on chante, puis tout se fluidifie et on sort de la forêt. Je dirais que je n’ai pas passé plus d’une trentaine de minutes bloqués au total en cumulé.  Juste après, on croise un immense feu de camp avec des locaux chantant bien fort en créole pour nous encourager. Alternances de raides montées et redescentes pour prendre de l’altitude. Le ciel rougeoie sur notre droite dans la nuit avec le volcan en éruption. Les jambes sont bonnes et je reprends le trottinage chaque fois que la pente n’est pas trop forte. Je me sens bien dans ces faux plats montants et je double régulièrement des concurrents qui ne font que marcher.

Pointage petit ilet de Notre dame de la paix à 03h04, soit 5h04 de course pour parcourir les 24km avec environ 1700m de D+, je suis 1255° mais je ne me suis pas encore informé de mon classement, je veux juste atteindre Cilaos le plus frais possible. Pour moi la course commencera seulement à Cilaos.

Juste après, on rejoint le bord de la ravine des remparts et on devine l’immense vide sur notre droite. La pente se radoucit, je rettrotine la plupart des portions en redoublant encore à chaque fois quelques concurrents. Une longue portion de route, puis on retrouve la monotrace avec le soleil qui se lève sur un paysage grandiose avec le piton des neiges en toile de fond à main gauche. Le terrain est plus accidenté et la majeure partie du temps est en marche avec plusieurs pauses photos.

Pointage au ravito de Piton Sec à 05h19, soit 7h19 de course pour parcourir 34km, je demande mon classement pour la première fois. Je suis 1242°. Vu l’allure de départ j’aurai plus pensé être 800 ou 900. Je remplis à moitié mon camel presque vide et prends une première pause ravito un peu plus longue en restant 5 bonnes minutes à boire et manger. J’ai baladé quelques gels dans le sac en cas de coup de mou uniquement, je préfère manger sur les ravitos.

Je sais le prochain ravito proche (6km) à Piton Textor, je referais une pause plus longue à Mare à Boue après une longue descente. Je monte en doublant régulièrement quelques concurrents (je récupère les places de ceux qui ont fait un arrêt plus court que moi). Je devine le ravito avant qu’il ne soit visible puisque je suis passé ici quelques jours avant.

Je pointe à Piton Textor à 6h33, soit 8h33 de course pour parcourir 40km, je suis 1234°. C’est le premier point haut du parcours à 2165m d’altitude. Il fait un grand soleil.

Ravito express et je repars en trottinant doucement, mon objectif est d’être prudent sur les longues descentes en marchant dès que ça me parait un peu raide et ne pas courir vite afin d’économiser les genoux. Je privilégie aussi les appuis medio-pieds que j’ai travaillé pour réduire les impacts sur les articulations… . Je suis surpris de ne pas retrouver les portions boueuses du GR R2 parcourus quelques jours plus tôt, mais en fait on descend par une variante (sentier Josemont Lauret) complétement sèche. Bah ça trottine doucement et je me fais doubler un peu par quelques descendeurs rapides (et il y en a beaucoup à la Réunion). J’arrive à la plaine des cafres et rejoint la route de béton pour quelques kilomètres jusqu’au prochains ravito. Je m’accorde les 3 derniers kilomètres à marcher pour souffler un peu avant le ravito et refais une pause pipi car je me sens un peu fatigué à ce moment-là.

Pointage à Mare à Boue à 8h14, soit 10h14 de course pour 50km, je suis 1235°. Il fait chaud, je re-remplis à moitié mon camel, puis enlève mes chaussures et prends un gros repas avec de délicieux pilons de poulet et des pates assis sur un lit picot. Je prends le temps de bien mâcher et de me poser. Au bout de 10 minutes, je vois HP qui arrive un peu déboussolé et visiblement déjà fatigué… il pense que Laetitia est devant, mais je suis certain qu’elle ne m’a pas doublé. Je remets mes chaussures et repart en laissant HP attendre Laetitia.

Devant moi je sais que l’ascension des coteaux Maigre puis Kerveguen est longue mais quasiment sèche pour y être passé quelques jours avant, c’est le jour et la nuit par rapport à 2012 où cette ascension avait été épuisante et très très boueuse. Je monte tranquillement sur un bon rythme tout en discutant avec Cedric un toulousain très sympa avec un accent à couper au couteau qui me décrochera sur le dernier quart de l’ascension. On rigole bien en racontant plein de conneries. Ça monte toujours sur un bon rythme et j’ai pourtant l’impression d’être en balade, pas en course. J’arrive en haut de la descente au second point haut de la course à 2250m. Cette descente que Lulu m’a décrite comme vertigineuse. Je regarde Cilaos plus loin 1000m en contrebas et me dit pour la première fois que j’ai une chance d’arriver à passer le col du Taïbit avec le coucher du soleil vers 19h, ça me promet une vue splendide avec ce ciel bleu presque sans aucun nuage.

La descente est effectivement très raide avec pas mal d’escaliers et je fais tout en marchant, doublé par quelques réunionnais équilibristes. Ça prend son temps et dès que la pente se calme, je reprends à trottiner en reprenant des concurrents (dont certains qui m’avaient doublé).

Pointage à l’entrée de l’ilet de Mare à Joseph à 12h06, soit 14h06 de course au km 61, je suis 1227°. C’est stable et je me dis que je reprendrais des places à Cilaos si je fais un arrêt court. Je me dis que je dormirais peut être à Sentier Scout comme en 2012 où j’avais réussi grelottant à dormir 15min dans ma couverture de survie à même la boue du sol (plus de lit libre). Au ravito, on me dit de pas m’emballer jusqu’à Cilaos car il y a encore une ravine pas mal technique à passer. Les jambes sont bonnes et je trottine sur un bon rythme 8-9km/h sur la plupart des portions à l’exception de la dite ravine (descente puis remontée de 100m de D+ environ). Je double déjà pas mal de monde. Je trottine toute la traversée de Cilaos jusqu’au stade où j’arrive avec tous les voyants au vert.

Pointage à Cilaos à 12h52 soit 14h52 pour 66km, je suis 1198°. C’est largement plus rapide que ce que je pensais (dans mon idée de départ j’y serais plutôt vers 15h mais j’avais pas vraiment regardé les barrières horaires). J’aperçois Katia dans les gradins et je discute 1 minute avec elle qui m’informe que Nico est étendu dans l’herbe derrière moi et que Lulu est passé il y a longtemps déjà. Je discute aussi 1 ou 2 minutes avec Nico, il a l’air très bien et il est là depuis 10 minutes déjà malgré tout ce que j’ai couru. Je repense qu’il a bouclé les 177km du Raid du Morbihan en 26h et que donc il sera plus rapide que moi.

Je fais ensuite la queue au moins 10 min aux toilettes pour arriver à assouvir un besoin naturel impérieux. Je reremplis à moitié mon camel et file chercher mon sac de base de vie. Je me pose dans l’herbe pour quelques petits soins des pieds (crème hydratante et inspection s’il n’y a pas de signes d’échauffement). Tout est nickel et je laisse mes pieds respirer 5 bonnes minutes tout en me remettant un peu de vaseline dans le fondement. Pas d’échauffement notable là non plus contrairement à d’autres courses. Le fait de m’être collé une bande strap le long du dos pour couper le ruissellement de transpiration a l’air de fonctionner à merveille. Parfait, je rends donc mon sac et file au repas en disant à Nico qui attaque une sieste qu’on s’y retrouve s’il reste pas trop longtemps  faire sa pseudo-sieste et que sinon il me rattrapera certainement ensuite.

Je mange tranquillement un copieux plat de pâtes avec encore du pilon de poulet et un Yop en dessert. Toujours pas de Nico en vue quand je repars. J’ai dû passer en tout environ 45-50 min sur la base de vie de Cilaos, je repars donc avec la quasi-certitude de voir le Taïbit de jour, mais le ciel commence à se charger de nuages bas qui risquent de me gâcher la vue. Presque toute la descente vers la cascade Bras Rouge se fait en trottinant et en doublant des concurrents, sans compter les 5 ou 6 que je vois faire demi-tour pour aller abandonner à Cilaos. Je me sens bien.

La remontée du long col du Taïbit se fait sur un bon rythme et j’ai pas l’impression de forcer, je commence à doubler pas mal en montée aussi et pas qu’en courant.

Pointage au ravito de la route croisant le col du Taïbit au niveau d’Ilet à Cordes à 15h24, soit 17h24 de course pour 72km, je suis 1047° et comme je le pensais entre les abandons et les pauses longues à la base de vie, j’ai repris pas mal de places.

Je prends 5 minutes pour une bonne soupe, 2 verres de coca et plusieurs morceaux de banane. Faut pas caler dans la montée du col. Je repars mais m’arrête 2km plus loin 5 autres bonnes minutes au traditionnel stand ravito officieux tisane « remonte pente », un mélange d’infusion d’herbes avec de la citronnelle, du géranium et un autre que j’ai oublié servi par des créoles tout sourire. Je plaisante avec quelques mots de créoles. Ils sont adorables J. Je repars avec une patate du feu de dieu que je tempère pour pas m’emballer comme en 2012 où la montée avait été faite sur un rythme effréné et euphorique que j’avais terriblement payé dans la descente sur Marla. Là ça monte tout seul sans forcer et je passe mon temps à doubler les concurrents en gardant mon rythme facile. Vers les 2/3 de l’ascension, on rentre dans le brouillard des nuages. Tant pis, on voit plus rien. Le col est déjà là, troisième passage de la course à plus de 2000m. Il est seulement 17h. Le haut du nuage semble très proche au-dessus, mais on est toujours dans la purée… Il y a beaucoup de concurrents assis au col à faire une pause, je m’aère les pieds une minute seulement en mangeant une barre de céréales et je replonge vers Marla. Il me semble que le soleil se couche vers 18h15. Je devrais donc arriver avec la nuit qui tombe dans 2 km d’une descente toute en marches d’escalier.

Je descends prudemment en faisant attention à poser le medio pied en premier des marches pour réduire les sollicitations des genoux et j’arrive de jour, lampe toujours dans le sac, au village en courant sur la fin de la portion.

Pointage à Marla à 17h27, soit 19h27 de course pour 78km, je suis 956° et tout va à la perfection même si je commence seulement à sentir une légère tension habituelle dans le genou gauche.

Un ravito rapide de 5 min et je demande au kiné du ravito s’il peut me faire un strap pour éviter le mouvement latéral de la rotule gauche. En 2012, j’avais posé le même strap à Cilaos sur ce qui était déjà une douleur de la longue descente du bloc. Il s’exécute avec ma bande mais sans vouloir faire le tour complet du genou, je lui dit que ça va surement pas tenir si on le fait pas. Il me répond que c’est mieux de pas le faire… Je repars lampe sur la tête alors qu’il fait encore jour vers la plaine des bœufs. La nuit tombe 20 à 30min après que j’ai quitté Marla, il y a un peu de vent et beaucoup d’humidité. La température chute rapidement, j’enfile ma veste coupe-vent et trottine peu sur cette courte plaine. Je retrouve un peu plus loin après avoir commencé la montée l’embranchement qui monte par un sentier raide vers le col de la Fourche. Souvenir fort que la redescente très vertigineuse de ce col en 2012 où j’avançais ivre de fatigue marche par marche et où un concurrent a fait une chute mortelle juste 15 min derrière moi à cet endroit…. Cette fois ci, on continue tout droit en direction du col des bœufs plus haut et moins raide. Dès le début des pentes marquées, le strap se décolle comme je m’y attendais et je m’arrête 2 min pour le renforcer en faisant le tour complet pour rebloquer la rotule. Je vois dans la nuit 4 ou 5 frontales plus haut devant moi qui monte le col. Le peloton s’est bien étiré.

Mon rythme est plus lent et plus je monte et plus la température descend. Arrivé au col pour un nouveau passage à plus de 2000m, le vent est subitement fort et la température ressentie de l’ordre de zéro degrés, je suis très juste avec seulement mon tee-shirt et mon coupe-vent vu l’humidité. Du coup, je coure pas mal et plutôt vite dans cette descente pour essayer de me réchauffer. J’arrive vite à la plaine des merles à un ravito sans pointage. Le sommeil est là mais il n’y a rien pour dormir et je peux pas m’allonger dans ce froid. Tant pis je continue après un café pris en tremblotant et 2 soupes. Je repars encore en courant partout où c’est possible, même dans des montées pas trop raide, je me pèle le cul. Je fatigue sérieux et je décide finalement d’enfiler de façon lucide ma seconde couche chaude et mes sous-gants de soie. Ça me réchauffe assez bien, j’ai manqué de lucidité pour attendre autant.

Ça monte doucement sur sentier Scout et je trottine tous les replats et même quelques faux plats montants. Je me fais la réflexion que je vais beaucoup mieux qu’en 2012 et je me dis même que mentalement les kilomètres passent assez vite.

Pointage a Sentier Scout à 20h53 soit 22h53 de course pour 88km. Je suis 923°. Me voilà en a peine 23h rendu où je m’étais écroulé en 2012 après déjà 30h (il y avait 5-6 km de plus de mémoire en 2012) à mendier un lit de camp et resté prostré sur une chaise à attendre qu’un lit se libère et finir par en tomber sur le sol trempé de boue pour dormir 15min et me réveiller grelottant… là j’ai sommeil et après une bonne soupe et 1 verre de coca, je demande s’il y a un lit de libre. On me répond que non, je choisis donc de prendre 2 cafés en retournant au ravito et pousser jusqu’à Ilet à Bourse à 7km d’une longue descente pas très régulière et un peu casse patte.

Je me remet en tee-shirt sous le coupe-vent et repars en trottinant, mais au bout de 2-3km, j’ai le genou qui me tire un peu et je me sens bien fatigué, je me remets à la marche et garderait une bonne allure jusqu’au lieu-dit de la plaque.

J’ai à nouveau le sommeil qui me rattrape et je trouve cette section-là interminable… Le sommeil est là et j’arrive bien claqué enfin au village d’Ilet à Bourse où j’espère bien faire un petit somme. Il y a une sono qui diffuse de la musique et une dizaine de personnes roulées dans l’herbe dans leur couverture de survie juste avant le pointage.

Pointage à Ilet à Bourse à 23h19, soit 25h19 de course pour 95km. Je suis 900°. Ma première question est pour savoir s’il y a un lit de libre… et on me répond « pas de lit ici, vous pourrez en trouver à Grand Place seulement. Vous pouvez dormir dans l’herbe là avec votre couverture si vous voulez ».

Crotte ! J’ai sommeil mais je ne m’écroule pas non plus donc pas certain que j’arrive à dormir. Je choisis quand même de tenter le coup car je vois bien que je n’avance plus trop. Je commence par chercher un endroit pas trop trempé dans l’herbe, c’est pas terrible. Je déplie ma couverture qui est un peu juste pour faire à la fois couverture et couche d’isolation du sol. J’ai les pieds qui ont un peu froid en dehors. J’ai mis mes 3 couches en haut. Je ferme les yeux et m’immobilise avec mon sac sous la tête. J’ai froid. Il doit faire 10 degrés mais tout est hyper humide. J’essaye de laisser mon esprit flotter, mais je sens que le sommeil n’est pas assez fort pour que je m’endorme dans ces conditions pourries et j’entends le bip des pointages et la musique de la sono ainsi que les encouragements des bénévoles aux arrivants. Je reste une quinzaine de minutes allongés avec un peu froid.

Je finis par me relever pour aller manger 2 soupes et boire 1 café. Il y a une grosse souche juste en vis-à-vis du ravito sur le chemin. Je pose mon cul dessus et prend mon temps pour manger. Je referme les yeux 1 grosse minute sur ma souche et me relève pour repartir après un re-remplissage complet du Camel. Je sais que la suite permet peu de courir avec des successions raides de montées et de descentes que j’avais passé de jour en 2012 laissant voir des à-pics très vertigineux. Je pense donc ne faire que marcher le reste de cette seconde nuit. Je me dis que ça serait bien d’être au Maïdo pour le lever du jour mais que la route est longue.

Les heures se succèdent et cette pause sans dormir de 30min à ce ravito m’a redonner une bonne allure de marche. Je suis dans ma bulle mentalement et je n’ai plus froid en marchant régulièrement. Le genou est indolore, mais je commence à retrouver sous le dessous du pied droit la tension sur l’aponévrose qui est revenu à plusieurs reprises cette année depuis le marathon de bordeaux en avril (la vitesse, c’est pas pour moi je pense vu que mon corps n’aime pas).

Les kilomètres s’égrènent régulièrement et le sommeil est reparti.

Pointage à Grand Place Ecole à 0h50, soit 26h50 de course pour 98km, la tension sous le pied droit s’est accrue et je me suis souvenu que Guillaume Millet proposait dans ma bible de la course à pied « Ultra-trail : plaisir, performance et santé » de soulager en course les aponévrosites par un strap ramenant le gros orteil vers le bas en prise en 8 avec l’arrière du talon,  je décide donc de passer au stand kiné de ce gros ravito. Je n’ai plus du tout sommeil. Je suis 917°

Je n’ai quasiment pas perdu de place et il y a beaucoup de concurrents qui essayent de dormir sur ce gros ravito. Le kiné n’a jamais entendu parler de ce type de strap, on improvise donc ensemble pour en faire un, simple et sur un seul tour. Il insiste aussi pour me défaire et refaire celui du genou qui est assez détendu. Je prends le temps allongé sur le lit picot et plaisante avec les bénévoles kiné et podologues et d’autres concurrents (la plupart en sale état). La podo veut regarder mes pieds, j’ai un peu d’échauffement sur le dessus d’un doigt de pied. Elle me fait une petite papillote et je me remet un peu de crème Cycalfate pour hydrater. Les pieds sont en bon état, pas une ampoule, pas une crevasse. Après ce long arrêt, je refile manger de façon consistante un plat de pâtes et reprendre un soupe et un café.

Je repars dans le nuit avec une sensation de pieds tout neufs et je me remet à trottiner doucement partout où c’est (rarement) possible. Les marches sont nombreuses et je descends à plusieurs reprises en dérapage dans la terre sèche (nettement moins compliquée que la boue de 2012, mais acrobatique quand même).

J’atteints le fond de la ravine et traverse à gué en équilibre la rivière des galets et sais que les quelques lumières de frontales qui s’élèvent en face attaquent une longue montée de plus de 1500m de D+ régulière qui avait été un enfer en 2012 avec des températures proches de 40 degrés au plus chaud de l’après-midi du second jour a flan de paroi rocheuse me renvoyant la chaleur. Je prends mon rythme de marche assez efficace et monte bien en ouvrant la voie d’un groupe de 3, reprenant les concurrents les uns après les autres. Vers les 3/4 de la montée sur roche plate, je prends un gros coup de bambou derrière la tête, j’ai sommeil et une sensation d’épuisement terrible. Je m’assoie, puis m’allonge de mon mieux mais de façon très inconfortable sur le bord du chemin étroit. Je mets mon réveil à sonner 30 min plus tard, mais au bout de 5 min avec les yeux fermés et m’être fait pratiquement piétiné par 2 ou 3 concurrents, je préfère tenter de rallier Roche Plate où il faut vraiment que je dorme.

Je me traine lamentablement et suis obligé de faire des pauses toutes les 5 minutes. Enfin je vois un panneau qui m’indique « Roche Plate 10 min »… Je me dis que c’est une estimation randonneur lambda avec gros sac et espère donc mettre un peu moins que ce temps… J’en mettrais quand même 15 avant d’arriver enfin à ce gros ravito perché sur une paroi vertigineuse du cirque de Mafate.

Pointage à Roche Plate à 4h13, soit 30h13 de course pour 106km. Je suis 827°. Je gagne beaucoup de places malgré mon allure très lente. Beaucoup de concurrents dorment pas mal visiblement sur cette seconde nuit, et il doit y avoir aussi les abandons. Je commence par demander s’il y a des lits et toilettes. C’est à 100m à l’écart, grande tente avec lits picots et couverture. Je passe avant aux toilettes pour soulager une seconde fois mes intestins et trouve 2-3 lits picots de libre dans cette grande tente. Je mets mon réveil à sonner pour 1h30 de sommeil dans cet environnement « 4 étoiles » au chaud sous ma couverture. Je sombre en 2-3 minutes et me réveille moins de 20 minutes après avoir fermé les yeux avec la sensation de pleine forme. Je reste quand même allongé 15 minutes de plus les yeux fermés pour me reposer mais le cerveau a récupéré et carbure à fond.

Je me relève, renfile mes chaussures et retourne au ravito pour un bon plat de pâtes et d’autres choses. Il fait encore nuit quand je repars mais ça ne va pas durer bien longtemps et le ciel vire du noir au bleu au bout de quelques centaines de mètres à peine. Je m’arrête donc pour ranger ma frontale et admirer la montée du Maïdo qui se dessine dans le jour naissant et que j’estime pouvoir avaler assez vite comme en 2012. J’ai la patate, ce quart d’heure de sommeil me redonne des ailes. Je m’emballe pas mais monte sur un bon rythme entre 600 et 700m de D+/h sur cette pente régulière. Je double concurrent après concurrent dans cette montée, au moins 40 personnes au final. Et voilà déjà le Maïdo atteint pour le dernier passage à plus de 2000m de la course. Je me demande si Katia sera présente au col si Karl n’est pas trop loin à ce moment-là. Pas de Katia (je l’ignore encore, mais Karl a déjà été éliminé à cette heure). Je repars en trottinant vers le ravito et seconde base de vie au moins 2-3 km plus loin. Je trottine quasiment partout même les courtes montées, je me dis que les jambes sont vraiment top, mais je recommence à sentir la tension sous le pied droit, le strap doit s’être distendu.

Pointage à la seconde base de vie du Maïdo à 7h06, soit 33h06 de course pour 112km. Je suis 753°.

Je prends le temps au ravito, assis sur une chaise de savourer une soupe et boire du coca. Je prends un peu soin de mes pieds en suivant en me retartinant de crème. L’aponévrose me tire mais en inspectant le strap, il ne me parait pas en mauvais état et je fais l’erreur de me dire que je vais continuer comme ça. Je reste 15 min allongé pieds nus dans l’herbe au soleil à regarder passer les gens, admirer la vue à couper le souffle et discuter un peu. J’échange quelques SMS aussi. Lolo et Jerome me suive assez régulièrement et bien sûr surtout avec Audrey. J’échange pas mal avec elle entre les différents points. Elle répond de jour comme de nuit. Pour elle aussi, ça doit être une course.

Je repars en tirant la patte. J’ai un souvenir horrible de la descente sur Sans-Souci en 2012 où les centaines de marches de cette longue descente de 12km me résonnait dans un genou gauche en souffrance. Je suis content de pouvoir vérifier que la pose d’appui medio pied réduit considérablement les impacts et mon genou me remercie.

Je me dit que je vais repartir en marchant. J’ai les jambes lourdes et je sens bien la tension sous le pied droit. Au bout de quelques kilomètres, je recommence à essayer d’alterner la course et la marche sur le plat et la descente. Les jambes sont lourdes et les kilomètres passent pas vite. D’autant plus qu’avec les descentes un peu raides sous le pied, ça commence à non plus être de la tension mais plutôt de la douleur… et autant j’aime la douleur mentale, autant je n’aime pas du tout la douleur physique. Régulièrement j’ai un concurrent qui me double, j’essaye de temps en temps de reprendre la course mais c’est de pire en pire sous le pied même en marchant. J’ai le moral dans les chaussettes, je ne me vois pas continuer 50km avec cette douleur forte et pense à l’abandon à Sans Souci. Je relaye par SMS mon état d’âme et mes problèmes à Audrey qui m’encourage et m’invite à la prudence. Elle relaye les infos en suivi quasi-live sur Facebook. Elle hallucine du nombre de personnes qui me suive. C’est long cette descente en marche pas rapide mais finalement de jour, en ayant couru un peu, et avec le GPS qui me donnait les kilomètres, c’est passé beaucoup plus vite qu’en 2012.

Pointage à Sans Souci à 10h25 soit 36h25 de course pour 126km. Je suis 764°. Que vais-je faire ?

Je rentre dans l’école. J’ai mal et grimace. Je me pose sur un banc… une gentille bénévole vient me demander ce que je veux. Je lui réponds « de plus avoir mal au pied », elle sourit. « plus sérieusement une crêpe, un Yop et un verre de coca». Elle me ramène ça et je réfléchis. Il fait chaud maintenant. Je demande une seconde crêpe et de l’eau pour reremplir le camel.

J’explique que c’est sous le dessous du pied que j’ai mal. Elle me précise qu’il y a un second endroit 150m plus loin avec des kinés et podos et qu’ils pourront peut-être faire quelque chose. Je n’ai pas grand espoir, mais tente le coup en leur faisant refaire le strap. La kiné est OK pour me refaire le strap en me le faisant plus renforcé que celui-là (elle n’avait jamais vu non plus cette technique pour aponevrosite). Elle me propose en plus de masser les mollets pour les détendre et donc réduire la tension sur l’aponévrose.

J’accepte de rester un petit moment entre ses mains et je repars en marchant en n’ayant plus mal du tout avec le moral de retour. Audrey me précise que Eric Galéa, camarade du Tor me conseille de remplir de fougères fraiches dès que possible ma chaussure, qu’il a testé avec succès la technique sur plusieurs ultras. Le parcours descend dans la rivière des galets et ma montre GPS me lâche avant que je n’ai eu le temps de la recharger une nouvelle fois (trace https://www.strava.com/activities/419812388). La traversée à gué est encore équilibriste.

Sur une échelle remontant de l’autre côté, un photographe est là et je lui fais une belle grimace pour rigoler… photo que l’on trouvera le lendemain sur l’article du Quotidien, un des plus gros tirage de l’ile, ha ha ha.

Je retrouve Cedric le toulousain qui était bien plus rapide que moi mais qui est en difficulté avec de gros problèmes gastriques depuis pas mal d’heures. Je reste 5 min avec lui et l’encourage avant de le distancer.

A peine 2 km plus loin, je trouve des fougères et découpe donc quelques branches pour fourrer ma chaussure droite. Je marche d’un bon rythme sans aucune gêne depuis ce long arrêt au stand. Je revis.

Je retente même à trottiner à nouveau un peu sur un replat et là non seulement je n’ai pas mal, mais en plus les jambes ne sont plus lourdes après ces kilomètres à marcher lentement. J’alterne quand même des portions courables à marcher en me disant que je ne veux pas distendre trop vite le strap.

Je suis vite rendu au stade de Halte-Là où était situé la seconde base de vie en 2012 où j’avais dormi 3/4h. La montée sur la foret de Kalaa qui était le début de mes hallucinations en 2012 se passe facilement même si quelques passages un peu dégueulasses avec pas mal de déchets m’attriste sensiblement. Il fait maintenant très très chaud et de nombreux autochtones nous invite à un ravito officieux devant chez eux ou suspendent un jet d’eau pour se rafraichir. C’est délicieux le jet d’eau et quelques morceaux de manioc cuisinés passent agréablement avec tous ces sourires.

Un peu de replat que je trottine facilement et c’est la redescente acrobatique dans la foret, en sautant de pierre en pierre. Je m’amuse comme un petit fou. La route arrive et il reste encore 2-3 km de descente sur la route jusqu’au prochain pointage de Chemin Ratineau. Je trottine tout le début, puis les impacts me retire un peu le genou et le dessous du pied, donc j’alterne course et marche tranquillement. Je me dis que je vais appeler Audrey avec qui je n’échange que des SMS pour le moment. Je m’offre ce plaisir. L’appel est court mais nous fait très plaisir à tous les deux. Je la rassure et lui confirme que tout va bien maintenant et que j’espère que ça durera jusqu’au bout comme ça. Elle me raconte qu’elle fait vivre le live sur Facebook et que tout le monde est derrière moi.

Pointage à Chemin Ratineau à 13h36 soit 39h36 de course pour 136km. Je suis 745°. J’ai encore gagné des places malgré mon long arrêt à Sans Souci.

Ravito rapide, ça va bien. J’attaque encore en courant la redescente puis marche dans les chemins tortueux qui suivent. Je n’ai aucun souvenir de ces portions, j’étais bercé d’hallucinations dans cette troisième nuit en 2012 avec des voix dans ma tête et des amis imaginaires. Là ça roule et dès que le terrain le permet à nouveau, me revoilà qui trottine, doublant régulièrement des concurrents. Un moment, je dois courir au moins 2km de rang en avalant même les montées en courant, je suis incroyablement surpris de voir les jambes tourner aussi bien.

Le chemin se fait plus technique à l’approche de la Possession et c’est à ce moment-là que me double successivement les 3 premiers du trail Bourbon, alors que je dois trottiner à 8-9km, ils doivent me doubler à 11-12 et je me fais l’agréable commentaire que j’ai pas l’impression de me prendre un gros vent malgré ma situation d’avoir plus de bornes qu’eux dans les pattes. Une petite frayeur avec la cheville qui part de côté sur une pierre me fait remarcher un peu, puis je trottine sans discontinuer à l’approche de la ville et jusqu’au ravitaillement.

Pointage à La possession à 15h17, soit 41h17 de course pour 144km. Je suis 710°. Je suis sur quoi qu’il arrive désormais de rallier l’arrivée.

Je me souviens de cette endroit arrivé au petit matin en 2012 après une nuit en enfer…. Là je suis en forme, je plaisante avec les bénévoles. Je me mets pieds nus pour prendre le ravito. Banane et abricot, j’ai envie de sucre. J’ai pris un seul gel sur toute la course jusqu’à présent (en partant de Roche Plate avant d’attaquer le Maïdo). Je repars sans trainer, toujours en trottinant à petite allure.

2km de route plate entièrement trottiné et acclamé par tous les spectateurs sur le parcours, à doubler les concurrents qui marchent pour la plupart et me voilà rendu au chemin des anglais. Ce chemin est un véritable enfer pour les chevilles fatiguées avec que des pierres irrégulières et souvent instables. Je l’avais passé de nuit en 2012 et j’avais déjà souffert, là c’est de jour et il fait chaud, très très chaud.

Je monte en marchant, je descends en marchant. Je veux pas me tuer une cheville sur ces pierres aussi proche de l’arrivée. Du coup au moins une dizaine de concurrents du trail bourbon me double en courant sur cette portion dont les 2 premières féminines qui ont une belle allure sur cette fin de course.

Je cuis littérallement sur ces roches volcaniques, brulé par un soleil de plomb. Quelle fournaise… Je dégouline de sueur, j’en ai plein les yeux. J’aborde la dernière descente sur Grande Chaloupe à court de flotte tant j’ai eu besoin de boire. Cette descente très raide sur ces cailloux instables est un supplice pour mes genoux et me retire le dessous du pied. Je vais très très lentement et même 2 ou 3 concurrents de la Diagonale me redouble. Dès que le chemin redevient a peu près plat, je repars en trottinant et reprends rapidement ces concurrents qui alternent marche et trottinage alors que je ne fais que trottiner. Je remonte la ravine et je double encore quelques poignées de concurrents.

Pointage à Grande Chaloupe à 17h20 soit 43h20 de course pour 151km. Je suis 692° et je commence à être gagné par l’euphorie… plus que 13km.

Un ravito court avec coca et banane et je repars en trottinant, les jambes tiennent vraiment bien le coup.  J’ai juste pris le temps d’enlever les straps de genoux qui pendouillaient complétement distendus et à moitié arrachés.

La nuit ne va pas tarder. Je reprends rapidement de l’altitude à l’attaque de la dernière difficulté, le Colorado, environ 700m de D+. Je me retourne après avoir monté environ 100m pour admirer 1 min le coucher de soleil sur la mer parfaitement dégagé. Vers Colorado, des nuages commencent à bourgeonner et j’ai enfilé ma frontale sur la tête. J’ai hâte d’en finir et j’accélère le pas, mais cela semble aussi le cas pour les autres concurrents. Je ne double presque plus sur cette portion, voire même me fait un peu doubler. Il commence à pleuvoir et je m’arrête pour enfiler la veste de pluie. L’intensité de la pluie augmente petit à petit et les chemins sont vides. Le dessous du second pied commence à me tirer et je m’arrête pour mettre des fougères (bien mouillées) dans ma seconde chaussure et en profite pour renouveler celles de la première. Je traverse un patelin plutôt désert dont je ne me souvenais pas du tout et trouve de plus en plus de boue en retournant en foret. Ça glisse pas mal et je fais à plusieurs reprises une réception sur les mains rattrapant le pied parti en arrière en glissade. Bon an mal an, j’arrive à l’approche du ravitaillement de Colorado où m’avait attendu mon ami Ben en 2012 avec son Ukulélé et une délicieuse bière. Moment formidable partagé avec Loïc qui avait fait toute la fin du parcours avec moi. Un SMS me confirme que Ben est au stade de la Redoute et m’attend avec Laurent. Ça me donne un joli sourire sous la pluie maintenant bien forte.

Pointage à Colorado à 20h08 soit 46h08 de course pour 160km. Je suis 709°. J’ai reperdu quelques places comme je pensais et j’ai pas envie de trainer. Je repars juste après un verre de coca et un morceau de banane. Un bénévole me prévient « attention la descente glisse beaucoup ».

La dénomination « champ de mine » aurait été plus approprié. Je débranche les fils pour continuer. Tout le monde se prend des vautres magistrales, c’est du patinage artistique. Le chemin pentu est ultra glissant. Heureusement qu’on peut toujours se rattraper à un rocher ou une branche d’arbre pour ne pas tomber dans le vide. Cette descente est une succession de glissades plus ou moins contrôlées. Ça demande une énergie folle et je m’agace sérieusement. Je râle, je peste, je trouve ça interminable et pourtant je double pas mal de concurrents en réelle difficulté, limite tétanie pour certains. J’en ai marre, je ne peux plus être prudent. On sort enfin de la foret et on voit les lumières de la ville où nous attend le stade de la Redoute. Il y a encore de dénivelé à descendre et je continue à m’agacer mais le rythme de marche a augmenté car c’est moins raide et glisse donc moins. Je continue à doubler pas mal et me remet à trottiner quitte à jouer un peu à l’équilibriste vers le bas de la descente. Juste au moment d’arriver au pied du pont qui marque la fin de la descente, je double 2 gars qui le prenne apparemment mal puisqu’au moment où je passe l’un dit à l’autre « attends on va pas le laisser nous doubler lui »… et ils reviennent à ma hauteur en courant. Je suis très con dans ces moments-là… et je lance le sprint à 500m de l’arrivée en attaquant surement un bon 13-14 à l’heure. Je laisse sur place les 2 loustics mais met un point d’honneur stupide à finir en tenant au mieux cette allure jusqu’à l’arrivée.

Mes jambes me portent formidablement, je suis heureux. A 50m de l’arrivée, Ben est là et agite le bras. Je suis tellement content de le voir. Je pense à Audrey en parcourant à grandes enjambées ces dernières dizaines de mètres, j’aimerais qu’elle puisse me voir en ce moment. Tout ce parcours, cette aventure c’est aussi pour elle car j’aurai tellement aimé qu’elle puisse m’accompagner dans cette aventure. Je passe la ligne un sourire jusqu’aux oreilles. Ben me tends une bouteille de 75cl de bière Leffe, j’en bois une énorme rasade au goulot. Je trinque avec lui et Laurent venu partager cette arrivée. Je suis heureux comme un gamin.

Pointage à 21h37, soit 47h37m de course pour 164km (tant que mon GPS marchait j’avais un peu plus mais pas énorme, donc surement une mesure autour de 167-168). Je finis 688°.

On me remet la médaille et le tee-shirt finisher. Je sors et on va au bar avec Ben et Laurent. Un petit détour pour récupérer mon délicieux repas de rougail saucisses et je paye ma tournée à mes amis. Coup de fil à ma maman et ma très chère Audrey. Finalement Audrey a pu me voir, il y avait une caméra à l’arrivée. Je suis vraiment ravi qu’elle ait pu vivre cela et finalement avec nos échanges réguliers par SMS, elle a vraiment fait partie à part entière de cette course. Notre course !

 

Après-course :

Quelques bières plus tard, on décolle du site vers un peu plus de minuit. Retour en voiture ramené par Ben dont je n’ai aucun souvenir. Absolument rien qui tire le lendemain en me réveillant vers 13-14h. Une fin de journée à échanger des messages et voir le suivi facebook qui me font très très chaud au coeur. Une jolie soirée concert bien arrosée qui se termine à dormir ailleurs qu’à Saint Joseph avec l’ami Ben et un pote à lui.

Il nous reste à nous retrouver toute l’équipe des Rhumattisants le lundi soir à Saint Leu pour un bon repas là encore bien arrosé avec nos fortunes diverses sur la course.

Lulu était très bien classé autour de la 300° place mais a eu des problèmes de digestion très rapidement. Il s’est trainé comme il a pu jusqu’au 136°km où à bout de forces, il a finalement jeté l’éponge.

Karl a fini très frustré, éliminé hors délai pour 5 minutes à Ilet à Bourse au km 95.

Laetitia et HP ont partagé une aventure extraordinaire en faisant leur course ensemble, HP ayant été beaucoup victimes d’hallucinations, ils ont réussi à terminer 1488 et 1489° en 59h08

Nico a souffert de plus en plus au fur et à mesure de la course, ne s’attendant pas à un terrain aussi technique, mais il s’est accroché et a réussi à terminer en 59h28, 1509°…

Notre équipe fini 42° sur 47 équipe classées (au moins 3 finishers)

 

Conclusion :

Voilà cette boucle est bouclé, j’avais rendez-vous avec moi-même sur cette course de mes débuts. Cela n’a pas été facile mais cela s’est globalement vraiment bien passé avec des jambes jusqu’au bout et des genoux solides cette fois-ci. Je pense sincèrement que mon changement d’appui pour travailler la pose medio-pied n’y est pas étranger en ayant beaucoup réduit les contraintes sur les articulations. La cheville et l’aponévrose droite semble donc mon nouveau facteur limitant maintenant

Je suis rentré en métropole, la tête encore bercé par des rythmes créoles, encore merci Nico, merci Ben et merci à tous ceux que j’ai croisé encore sur cette île intense. Ces moments sont magiques.

J’ai retrouvé avec un immense plaisir ma très chère Audrey auprès de qui chaque jour est une belle aventure à vivre, tu es celle qui me donne le sourire chaque matin et l’envie de faire plein de projets ensemble.

Enfin après une période à savourer cette balade, il est maintenant temps au moment où j’écris ces dernières lignes (3 janvier 2016) de rêver à nouveau des prochaines aventures sportives de 2016 et le chemin qui doit me mener à la Transpyrenea…