Prologue :

On se demande parfois ce qui nous pousse à agir, ce qui nous met en mouvement… il y a probablement autant de réponses possibles que de personnes, voire même les réponses peuvent varier grandement pour une même personne en fonction du temps…

« Connais-toi, toi-même » enseignait Socrate à ses disciples et je crois que c’est exactement ce qui me met en mouvement.

Depuis mes premières rencontres avec moi-même en 2012 sur la Diagonale des Fous et plus récemment sur le Tor des Géants en 2014, j’ai construit mon chemin de vie et alimenté mes réflexions sur mon chemin personnel vers le bonheur (chemin perpétuel puisque le bonheur est le chemin).

Bon là, on commence à se dire que ça fait drôlement philo comme préambule pour un récit de course et qu’il ne va pas nous gonfler longtemps avec ses conneries…

Bref, tout ça pour dire que l’ultra d’une manière générale (en marchant, en courant, en pédalant ou en nageant) n’est finalement pour moi ni plus ni moins que l’occasion de partir à la rencontre de moi-même, que ce dépouillement et ce retour à une simplicité volontaire me ramène à l’essentiel. Cela me permet de voir sans détour dans ma vie de tous les jours ce qui est important (manger, dormir, partager, rire, aimer, transmettre du savoir et des valeurs, …) de ce qui ne l’est pas (travail, confort, apparence vis-à-vis des autres, …)

Depuis 2012 donc, je me lance dans des courses que la plupart des gens considèrent comme insensées. Et depuis 2014, j’ai essayé en plus d’y associer une cause qui me tient à cœur : réaliser les rêves d’enfants hospitalisés à Bordeaux. Etant moi-même un grand rêveur, j’y suis parvenu grâce à de formidables rencontres humaines comme Philippe Boyer et son association la Diagonale des rêves.

Tout juste quelques mois après que je sois revenu du Tor des Géants 2014 terminé en 143h et quelques (avec environ 7h de sommeil en 6 nuits), une traînée de poudre se répand sur Facebook avec un organisateur de courses dans le désert qui veut se lancer sur le pari fou de faire une course qui traverse l’intégralité de la chaîne des Pyrénées par le GR10. Le concept est en plus particulièrement spartiate : pas de balisage additionnel, des points de contrôles espacés en moyenne de 40km. cela implique une autonomie alimentaire et énergétique importante pour boucler les presque 900km et 60 000m de D+ en seulement 400h (16.5 jours là où un randonneur lambda met bien 40 jours sans repos)… bref, ça sent l’engagement et l’aventure à plein nez et je m’inscris quasiment sans réfléchir tant cela m’attire.

 

Préparation de course :

Plusieurs amis et connaissances du monde de l’ultra s’inscrivent sur cette course complétement folle. Plus d’un an à l’avance, le forum Facebook de la course regorge déjà de discussions au sujet du matériel et de la stratégie de progression. L’organisateur Cyril, que j’apprendrai à connaitre, se plaît d’ailleurs à expérimenter et discuter les points du règlement de ce nouveau format de course (on devrait plutôt dire aventure d’ailleurs), ce qui désarçonne nombre de coureurs. Ils ont l’impression que tout change tout le temps et qu’ils ne peuvent donc pas se préparer à ce qui les attend. C’est très subjectif car se préparer au changement et à l’imprévu est justement pour moi l’essence même de cette aventure.

Quelques communications mails, généralement claires, envoyées à chaque participant permettent en plus de savoir précisément où seront les points de contrôle et ce que l’on pourra y trouver. Cyril insiste régulièrement sur le forum sur le niveau d’autonomie très important de la course. Ce ne sera pas un ultra trail avec ravito copieux tous les 10km, podologues tous les 20km et masseurs tous les 50km… C’est exactement ce que je recherche même si j’aborde avec beaucoup d’humilité et n’ai aucune certitude. C’est parfait !

De plus, Cyril conseille à chacun de se prévoir une assistance individuelle (famille, ami, …) pour partager l’aventure et rendre les conditions de course moins dures, mais j’ai bien dans la tête l’envie de faire mon chemin sans aucune assistance, juste moi et les rencontres du hasard. Je sais en plus que sur le parcours, il y a un certain nombre de refuges ou de villages qui pourront apporter, selon l’heure de passage, une aide tout au moins alimentaire selon les besoins et envies. Je prévoirai donc avec moi de l’argent liquide en conséquence).

Mon binôme de la seconde moitié du Tor Eric Galéa, bien qu’inscrit, se retire finalement par manque de disponibilités professionnelles et c’est bien dommage car j’aurais eu grand plaisir à partager à nouveau une aventure avec lui

A environ 1 an de la course, je commence mes premières réflexions de stratégie et effectue avec 3 amis du club de triathlon de Cestas une reconnaissance grandeur nature : Cauterets – Hendaye en 7 jours de marche (et une nuit pour moi, mes camarades ayant fait 8 jours, mais je voulais voir une progression de nuit sur ce type de balisage, je les rattrape donc au petit matin de J2 pour eux). Annoncés 295km et 16000m de D+, au final mesurés 320km et 18000 de D+ pour 6 jours de canicule et 1 jour de pluie battante (le 3°). J’en tire plusieurs enseignements importants : il faut se protéger le plus possible les pieds de la pluie et il faut absolument un système de type GPS pour avancer efficacement de nuit (j’ai perdu presqu’une heure sur une variante mal indiquée qui m’a fait tourner en rond).

De plus, à chaque ultra-trail, je finis avec 2 petites ampoules sur le dessus de chaque petit doigt de pied que je colmate comme je peux avec des compeeds et/ou des soins de podologues et s’il y a de la pluie, j’ai en plus une crevasse avec la peau qui plisse sous chaque pied. J’ai un an pour expérimenter des solutions à ces problèmes et tous les autres qui vont se poser. Je commence en plus à réfléchir à plusieurs courses d’entrainement en 2016 (100km de Belves, Euskal Trail 130, Off de la cannonball 125km, …) et prévois de me planifier 2 à 4 week-ends rando montagnes sur avril-juin.

Je démarre avec la question du sac. Avec mon approche minimaliste basée sur l’expérience de l’alpinisme (« si tu veux avancer vite, tu dois être léger », essence du style dit « alpin »), j’opte grâce aux conseils avisés de Laurent Bahier de Trailstore pour un sac de 20L de Camp. J’avais fait toutes mes courses jusqu’à présent depuis mes tous débuts avec un 12 L Decathlon premier prix, y compris le Tor des Géants, mais là il me fallait plus grand. Je tente aussi un investissement sur un panneau solaire spécialement étudié pour les activités outdoor.

Ma première course que je considère comme entrainement de la Transpy sera la diagonale des fous en octobre 2015. J’y file sans ma compagne Audrey car nous n’avions malheureusement pas assez d’argent pour 2 billets d’avion au moment de l’inscription. Je passe tout de même 2 semaines de rêves immergé dans la vie locale avec les amis rencontrés en 2012 et des amis du club également présents sur la course. J’avais bouclé en 61h30 en 2012 (dont 1h20 de sommeil) avec des conditions météos difficiles (tempête tropicale pendant les 20 premières heures). J’espère, au vu de mes progrès depuis 2012, boucler cette édition aux environs de 50h pour éviter de passer une troisième nuit complète dehors. 3 jours avant la course, je fais en plus une randonnée « commando » pour aller voir le volcan en éruption et monter au piton des neiges en partant du sud sauvage avec un gros sac et une arrivée à Cilaos. Ce fut une superbe balade de 64km et 4500m de D+ avalés en 24h avec un bivouac d’1h sur les flancs du piton des neiges et environ 9kg sur le dos. Malgré le soleil, le rendement du panneau solaire est décevant en mouvement alors qu’il est très efficace au bivouac. Je bouclerai la course au-delà de mes espérances en un peu plus de 47h en ayant pu trottiner jusqu’au bout, là où c’était possible, et malgré un passage difficile d’une dizaine de kilomètres avec une aponévrose qui était devenue douloureuse (mais ça a disparu avec : massage mollet + strap + fougères dans la chaussure). Je valide sur la course le sac et la batterie USB prévue pour être chargée par le capteur solaire qui se révèle redoutablement efficace pour recharger le téléphone et la montre GPS.

Malheureusement, 2-3 semaines après cette course et après 2 années 2014-2015 copieuses en nombres d’ultra (une dizaine par an), sur un banal footing, un appui tape dans une descente et se révèle douloureux le lendemain sur la cheville droite. Je ne le sais pas encore, mais c’est la première fois de ma vie de sportif commencé en 2009 que je vais me blesser. La douleur disparait au repos mais pour mieux réapparaitre à la reprise. Escalade sans doute classique pour beaucoup de sportifs, mais entièrement nouvelle pour moi : docteur, pas de diagnostic, IRM, rdv spécialiste, diagnostic d’œdème de cartilage sur l’astragale, tentatives de reprises très progressives de course à pied, espacées de plusieurs mois de repos, réapparition de la tension et de la gêne dans la cheville et à nouveau arrêt. Nouvel IRM, second diagnostic, se voir dire qu’il n’y a pas d’amélioration de l’œdème sur tout l’avant de la tête de l’astragale (alors que je n’ai mal qu’à l’intérieur) et qu’en plus avec un arthroscanner et une échographie, on m’annonce qu’il y a un conflit antéro-médial (un tendon épaissi et enflammé de façon chronique dans la gouttière entre malléole interne et tendons releveurs)… Galère et frein à ronger donc, je ne peux faire que du gainage et renforcement musculaire quotidien avec de la piscine et du vélo…. Je suis assez inquiet de ne pas pouvoir préparer physiquement la course, mais également assez surpris de voir que le sport ne me manque pas viscéralement comme c’est le cas pour de nombreux amis coureurs blessés. Tentative de mésothérapie début mai sans résultat. Tentative d’infiltration début juin, résultat partiel.

Bref, même pas 200km en 6 mois à pied (en comptant les quelques petites randos avec Audrey) et aucun spécifique de dénivelé en montagne : c’est une préparation comme j’en ai le secret.

Je décide à la prochaine amélioration de ne pas tenter de reprendre la course à pied et de miser uniquement sur la rando et la stratégie. Je suis convaincu que le gainage et renforcement musculaire sera précieux. Plus de 4000km de vélo quand même à début juin (à 6 semaines du départ donc) où je décide donc de ne pas tenter de courir et de commencer un entrainement rando. Ma stratégie pour la Transpyrénéa est simple : avancer pas mal d’heures par jour en marche uniquement (de l’ordre de 16 à 18h), et de vraies nuits de 3-5h à partir de la seconde nuit car je suis plutôt un petit dormeur et je sais également que l’excitation m’empêchera de dormir la première nuit quoi qu’il arrive.

En parallèle, je passe du temps à peser différents matériels et nourriture pour préparer un sac que j’espère le plus léger possible en renonçant à quasiment tout confort.

Je prévois un week-end test cheville et matériel fin juin, la seule préparation spécifique en tout et pour tout. Vraiment j’ai le secret des préparations de course à l’arrache !

J’ai besoin de choisir entre le GPS et des cartes IGN au 1/25000 sur appli téléphone mobile Mytrails directement et je craque sur un bijou de lampe ultra performante et économe (Tiho de Stoots, 38h d’autonomie à 100 Lumens et 14h à 200 Lumens pour 130g) et je veux valider en rando les chaussettes gore-tex que j’ai utilisé sur le vélo cet hiver pour m’isoler des grosses pluies.

Ce sera donc une traversée Mérens les Valls – Marc prévue en Ariège pour me permettre un parcours 100% mobilité douce (le train arrive à Mérens et peut se reprendre à Tarascon avec une descente en stop depuis Marc). Finalement après contact et discussion Facebook, ce sera partagé au lieu d’être solitaire avec Sylvain Barnole, autre concurrent qui est l’ami d’un ami et réside sur Toulouse. Je ne ressens plus la cheville depuis 2 semaines, on va bien voir. La traversée prévue est un tronçon de 80km annoncé bien compliqué que je ne connais pas.

Finalement l’alchimie prend et nous passons un week-end extra malgré une météo très humide (pluie et brouillard) en nous entendant à merveille (même si je fais raccourcir un peu le week-end à 67km avec le début de tension dans la cheville). Je valide sur ce week-end la solution chaussures mid-trail La Sportiva (entre trail et chaussures de randonnée, matériel issu du monde de l’alpinisme) avec 1.5 pointure plus grande que ma taille à la ville doublé gore tex, la solution pantalon de pluie et chaussettes gore tex en cas de pluie avec aération des pieds à l’air libre chaque fois que possible et la solution de remplacement de mon habituelle vaseline sur le dessus des orteils par de la NOK dessus-dessous. J’opte également pour le suivi avec des carte IGN au 1/25000 sur le téléphone portable, beaucoup plus facile d’utilisation que le GPS et constate que même de jour en Ariège, le suivi balisage est compliqué sans cartes (on se serait paumé au moins 3-4 fois allègrement). J’avais 7-8kg sur le dos et un sac quasi-finalisé, je rajouterais des calories alimentaires (6300 au lieu de 6000 au final pour un peu plus de sécurité) pour le départ, finaliserai la pharmacie et ça sera parfait.

On décide donc avec Sylvain de prendre le départ ensemble 2 semaines plus tard avec grand plaisir, même si j’ai un peu peur de le ralentir car le gaillard est impressionnant et parfaitement affuté (il a fait beaucoup de préparation rando et de reconnaissances du parcours). Le plus fort est qu’il a une pathologie « grave » car il souffre de diabète de type 1 (plus aucune fabrication d’insuline par son corps) et doit, jour et nuit, surveiller son taux de sucre et sa pompe greffée par cathéter lui délivrant l’insuline en modulant le flux… Il m’impressionne pour dire vrai.

Les jours passent, le sac est finalisé (7.950 kg sur la balance à pleine charge nourriture et eau). J’ai préparé mes pieds pendant 3 semaines en mettant du Tanopatt 1 soir sur 2 sous les pieds et sur le dessus des orteils. J’ai acheté de la NOK pour réduire les frottements régulièrement. Je fais quelques aller-retour au travail à pied avec 7-8kg sur le dos (12km dans chaque sens) et fais également une sortie rando trail en montée-descente en marche rapide (entre 5 et 6km/h) sur les coteaux rive droite de la Garonne

Bref, je me sens mentalement et stratégiquement prêt et ne m’inquiète plus à aucun moment, néanmoins, physiquement je suis largement sous-entraîné. Je considère qu’au-delà de 3-4 jours le corps va s’adapter (enfin j’espère)… bref, c’est l’aventure et il me tarde d’y être sans stress ni appréhension même si je ne peux m’empêcher d’avoir un gros pincement au cœur de devoir laisser Audrey potentiellement 3 semaines.

Audrey m’accompagne à la gare de Bordeaux ce dimanche 17 juillet prendre mon train en direction de Banyuls sur Mer, je suis triste de la laisser et heureux de partir à la rencontre de moi-même. Il n’y avait pas d’autre choix, elle m’accompagne tout le temps dans mes pensées. Elle sera là sur le chemin. Elle verra les levers du jour et elle saura mes difficultés… et surtout elle porte le fruit de notre amour, enceinte de 4 mois à ce moment. Elle sera donc logiquement le relais unique de mes communications car je mettrai souvent le téléphone en mode avion. J’essayerai régulièrement de la tenir informée pour qu’elle sache ce qui m’arrive et comment je vais et qu’elle puisse relayer ainsi le suivi pour la cause des enfants malades sur la page Facebook que j’ai créée pour cela.

Je monte dans le train après un dernier baiser et une étreinte empreinte d’émotion. Je lui souris une dernière fois en vrai avant longtemps. Je ressens incroyablement fort à quel point je l’aime à ce moment-là.

 

Avant le départ :

Long coma dans le train, mon corps s’est mis en mode économie d’énergie. J’ai aussi préparé mon appareil digestif sur la dernière semaine de course à manger beaucoup de calories chaque jour et faire un peu de gras. Résultat : +2kg sur la balance en 1 semaine et une adaptation du système digestif après 2-3 jours de ce régime hyper-calorique.

J’arrive sur Banyuls et y retrouve avec plaisir mon ami Benoit qui va être bénévole sur la course et qui arrive tout droit d’Andorre où il était aligné sur la Mitic. Il est bien décalqué. On discute un peu et je pose mon barda (6kg sac de course sans eau + 10kg dans le sac de suivi de 45-50l modèle Tor des Géants). On ressort boire une bière et manger sur la plage, juste en face du panneau de début du GR10, une grosse pizza bien dégoulinante d’huile et une grande barquette de frites bonus. On siffle une bonne bouteille de vin rouge d’un copain vigneron en rentrant. Je suis calme et heureux d’être là. Une nuit douce et reposante nous amène au lundi avec un éveil sans réveil.

Nous mettons le cap sur le Perthus, non sans faire un crochet par le « meilleur boucher-charcutier catalan » à Cerets où je veux acheter 800g de saucisson bien gras pour finaliser mes rations… bon « y en a un peu plus, je vous le laisse ? ». Bref, je repars avec plus d’1kg !

Un petit jardinage à l’entrée du Perthus en se gourant de route au lieu de monter au Fort. On arrive finalement pour un petit repas simple et honnête, bien arrosé de bière (direct dans la gourde pour pouvoir poser sur la table puisque je n’ai qu’un gobelet souple) gentiment mise à disposition par l’organisateur. J’ai retiré mon dossard après une vérification détaillée du matériel obligatoire et la consultation de ma fiche déclarative des calories. L’ambiance au fort est surréaliste ; à la fois sérieuse et décontractée et surtout extrêmement cosmopolite au fur et à mesure des arrivées de concurrents. L’oreille entend parler de multiples langues plus ou moins inconnues.

Je mange avec les girondins et l’on fait même 2-3 photos. Je fais la connaissance du couple Catherine Michaelli et Bruno Cuminal. Je parle pour la première fois à Karine Sanson que je ne connaissais que de réputation (ex-championne du monde de VTT et de niveau international en trail et raid multi-sports). Il y a également Nathalie Wurry que j’ai déjà régulièrement croisée sur des courses et avec qui j’ai déjà discuté à de multiples reprises (elle est journaliste pour running mag en plus de son travail). C’est une habituée des podiums sur ultras. Enfin, il y a le « vieux sage » Christian Alfieri qui non content d’être un ancien sportif de très bon niveau (il tournait le marathon en moins de 2h40) est un montagnard aguerri et s’est très sérieusement entrainé (il court encore à plus de 60 ans son 10km sous les 40’ et fait des semaines itinérantes en ski de rando l’hiver).

Sur le papier, je n’ai aucune idée si je pourrai aller au bout de l’aventure, je veux juste aller au bout de mon aventure personnelle. De plus je suppose que Christian est le mieux placé parmi nous pour voir l’Atlantique, mais je sais parfaitement qu’en montagne tout peut arriver et qu’il faut surtout rester très humble.

Je fais la connaissance de Cyril et Patrice les GO (gentils organisateurs). Cyril est un peu bourru au premier abord, mais j’ai un peu l’habitude de ce genre de caractère « rustre » en montagne. Si tu es simple et vrai, le contact humain devient vite chaleureux et c’est exactement ce qui se passe avec lui.

Je suis heureux d’être là.

Benoit prend ses marques car il va être bénévole pendant 3 semaines sur la course (profitant du battement entre 2 vies professionnelles différentes à ce moment-là).

Je vais aussi faire pendant bien ¾ d’heure toute une batterie de tests avec l’équipe de recherche italienne extrêmement sympathique. J’y croise en plus Christian Mauduit, un monstre de performance sur route (régulièrement au-dessus des 800km sur des courses de 6 jours) mais qui « s’amuse » à venir sortir de sa zone de confort. Il a un super état d’esprit, simple et déconneur. On avait bien rigolé par moment sur le forum de la course. J’y fais aussi la connaissance de Régis Dedeban et Didier Valade, deux poitevins sympas avec qui on avait aussi un peu échangés sur le net.

Les tests médicaux sont poussés (prise de sang, prise d’urine, tests olfactif, échographie du cœur et des poumons, simulation mentale de mouvements, …). On doit se revoir sur les bases de vie et l’arrivée.

On passe le temps à discuter avec les uns et les autres. Sylvain était passé le dimanche récupérer son dossard, je ne le retrouverais donc que pour le départ.

Je retrouve aussi Filippo, l’ami italien vivant en Suède croisé sur le Tor 2014. C’est un véritable plaisir et nous rediscutons de bon cœur.

L’organisation gère un peu « la misère » car le vent très fort a renversé plusieurs structures pour les vérifications et un incendie a éclaté sur la route menant au Fort de Bellegarde en cours d’après-midi (que l’on voit nettement depuis les remparts). Il fait très chaud et les concurrents appellent catastrophés pour dire que la route est coupée par les pompiers. Le temps s’écoule, le défilé des drapeaux est un peu tronqué avec la pagaille mais l’idée est vraiment chouette. Le briefing est retardé pour attendre la réouverture de la route (réouverture qui a lieu vers 18h) et Cyril est dans un état de stress abominable. Il fait un briefing très partiel du coup et pas bien clair (des anglophones à côté de moi me demandent souvent de leur expliquer les réponses en franglais qu’ils ne comprennent pas bien). Cyril explique aussi que les balises GPS individuelles ne seront finalement pas là car la technologie récente ne pouvait, selon le constructeur, pas être encore assez fiable et ne sera disponible qu’à la prochaine édition. Les conseils de base d’une extrême prudence sont serinées par Cyril, ce sera sauvage et avec une autonomie très importante. Il répète pour une énième fois « c’est une aventure que je vous propose, pas un ultra-trail ».

Il conclut son intervention, à moitié en tremblant, visiblement épuisé, avec ses mots : « Vous avez bien fait de venir, car je ne sais pas si nous arriverons à nouveau à organiser cela ».

Je me fais la réflexion qu’il n’aurait pas dû être seul sur l’estrade pour pouvoir assurer un message plus technique et plus intelligible (notamment aux anglophones et hispanophones).

L’émission de web-télé d’ouverture est hachée, et un peu décousue avec tout ça. J’y passe 5 minutes pour parler de l’association que je représente La Diagonale des Rêves pour réaliser les rêves d’enfants malades. Je parle simplement de mes choix pour répondre aux quelques questions que me pose « Moustache » (alias Patrick) le sympathique animateur. Je « défrise » parait t’il quelques personnes qui suivent en précisant que je pars « avec la bite et le couteau » (sans aucune assistance externe quoi).

Puisque je n’ai rien de mieux à faire (la tireuse à bière est à sec), j’aide Benoit à préparer la distribution des repas du soir qui a aussi pris du retard. Je mange à nouveau simplement avec les organisateurs et continue à discuter un peu avec différents participants. Je fais aussi connaissance avec Alexandre un sympathique coureur de mon âge qui a lui aussi laissé sa compagne enceinte de 4 mois.

En discutant, les stratégies semblent extrêmement diverses selon les visions de chacun. Il y a ceux qui veulent trottiner les descentes et faire des nuits de 6-7h, ceux qui espèrent ne dormir que 1-2h par nuit et marcher 20h par jour, ceux qui veulent aller vite et courir tant qu’il peuvent (le portugais Joao Oliveira, ancien vainqueur du Spartathlon a même prévu de ne pas dormir les 5 premières nuits m’apprend Cyril… je ne pensais même pas ça physiologiquement possible). Personnellement avec Sylvain, on espère pouvoir avancer avec 15 à 18h de marche par jour et dormir 3-4h par nuit (et je sais aussi que je ne dormirais pas la première nuit avec l’excitation mais Sylvain tenait à garder cette nuit-là identique).

Beaucoup de concurrents ont prévu un plan de marche précis avec kilométrage quotidien et lieu de sommeil prévu. Je sais que Sylvain en a prévu un puisqu’il me l’a envoyé mais je ne l’ai même pas regardé. Je pense qu’au-delà de la première journée, ça ne veut rien dire et je n’ai pas besoin de ça pour être rassuré.

Une chose est sûre en tout cas : il n’y a pas de « touriste » sur la course, que du très lourd. Tout le monde a quasiment déjà bouclé le Tor (beaucoup de dropbag sont des sacs du Tor, format 45-50L ), une course de 300km dans le désert, un raid multisport d’une semaine, …. .Certains ont des CV hallucinants de courses extrêmes aux 4 coins du monde, mais restent hyper humbles. Je discute, par exemple, un moment avec Gérard Bertin, petit bonhomme frêle qui m’explique qu’il retrouve avec un immense plaisir l’ambiance de course de joyeux dingues d’il y a 20 ou 30 ans quand des organisateurs les emmenaient traverser en courant le Ténéré seulement équipés d’une carte et d’une boussole… Ouais ben finalement j’adore l’esprit, mais je me sens tout petit moi !

Je pense connaitre mes qualités :

-        j’aime l’inconnu et m’adapter aux conditions changeantes et imprédictibles avec un mental solide

-        avec mon petit gabarit, je grimpe de façon assez efficace

-        je sais me rationner, me débrouiller avec très peu et des conditions de confort spartiates

-        je sais bien m’orienter

-        j’ai une expérience significative de l’environnement montagneux et des conditions engagées avec l’alpinisme (c’est-à-dire où il faut mesurer assez précisément les risques que l’on prend pour continuer à faire passer le fil de vie)

-        je sais écouter ma peur et renoncer en cas de besoin, ce qui est indispensable en montagne

-        je suis léger (mon sac de 8kg à pleine charge avec tout le nécessaire est clairement dans les plus légers du peloton)

-        je suis plutôt un petit dormeur

Bref, j’adore l’inconfort mental et repousser ces barrières (je préfère ne pas parler de limites, notion très ambiguë). Je n’aime pas la souffrance physique et je fonctionne au plaisir. « Quand la tête va bien, le corps va bien » pourrait être une maxime pour moi. C’est Sylvain qui me l’a dite et je trouve que ça nous va très bien à tous les deux.

J’espère surtout que ma cheville me laissera tranquille et je n’imagine pas une seule seconde de courir sur le parcours, afin d’économiser les muscles et articulations.

Mon esprit flotte et vagabonde pendant le chemin du retour sur Banyuls avec Benoit dans la nuit. Il me tarde tellement d’être à demain pour le grand départ avec Sylvain.

 

Jour 1 (mardi 19/07) : le départ et la canicule

Une nuit à dormir comme une masse près de 9h, l’esprit léger sans aucune tension.

Première erreur : j’ai laissé le coupe-ongles dans le dropbag et je ne me suis pas coupé les ongles des pieds cette semaine… bon ben on va faire sans alors en considérant que je me couperai ça à la BV1 et que j’aurais encore la place dans la chaussure en marchant.

On part en espérant arriver une grosse heure avant le départ prévu à 12h.

 Seconde erreur : on a oublié le petit déjeuner. Du coup, on trouve quelques tranches de pain noir et on attaque un peu le rab de saucisson sur la route (dommage, il manquait que le vin rouge pour la sortie gastronomique). Un peu de stress dans les 4-5 derniers kilomètres avec de gros bouchons qui me font me demander si je ne vais pas rallier le fort à pied par la route. On arrive à peine 30 minutes avant le départ et tous les coureurs sont déjà là. Le vent est tombé et il fait très très chaud du coup (sûrement plus de 35 degrés). Je mets mon Buff humide sur la tête pour protéger le cerveau et la nuque. Je retrouve Sylvain avec grand plaisir.

On discute un peu le programme :

-        Moi : « bon, tu veux faire quoi aujourd’hui ? »

-        Sylvain : « ben comme défini sur le plan de marche, aller dormir à Arles sur Tech, au km 41 »

-        Moi : « heu OK, tu sais en fait je l’ai pas lu ton plan » (sourire volontairement niais)

-        Sylvain : « le but c’est de prendre de l’avance aujourd’hui sur la barrière en faisant peu de pauses et après faire 50-55km par jour voire moins si on a besoin certains jours comme en Ariège pour garder les nuits de 4 à 5h »

-        Moi : « nickel alors. Et si tu ne dors pas bien la première nuit, on raccourcira si ça te va, car je sais que je ne dormirai pas avec l’excitation »

-        Sylvain : « Oui ça me va, on adaptera selon le contexte de toute façon »

-        Moi : « Au fait, le briefing d’hier a précisé que la variante par le sommet du Canigou était autorisée, ça fait gagner 6-7km de distance mais rajoute 700m de D+. On verra quand on sera au pied, mais ça me dirai bien d’y passer car j’ai jamais grimpé ce sommet. Il y a juste un bon 100m de descente dans une cheminée de désescalade un peu technique mais pas du tout insurmontable avec quelques pas de niveau III » (NDT : cotation escalade niveau facile)

-        Sylvain : « On verra, je suis déjà monté par la cheminée plusieurs fois, ça peut être craignos à descendre »

-        Sylvain : « j’ai pas mal de monde qui doit venir me voir sur la course, Stéphane un ami viendra à notre rencontre de Arles sur Tech »

-        Moi : « Super, dis-lui de prendre des bières »

-        Sylvain : « C’est prévu »

-        Moi : « Parfait ! » 

Il fait tellement chaud que je décide de charger à 100% ma capacité en eau soit 2L dans la poche (à consommer en priorité) + 0.6 L sur une gourde poche avant. Je pensais initialement mettre un peu d’apéritif ou de vin rouge dans ma petite gourde mais j’ai réfléchi que vu les conditions d’autonomie, je préférai avoir 2 contenants possibles en eau au cas où l’un me lâche (et j’ai une poche de rechange dans le dropbag) car j’ai un souvenir douloureux de la TDS où ma poche à eau m’avait complétement lâché (irréparable) au km 50 et que je n’avais bu ensuite que sur les ravitos. J’avais fini par abandonner au km 90 avec une périostite des tibias (sensations d’avoir des couteaux qu’on te plante à chaque pas dans les tibias) bien déshydraté aussi. Bon il est vrai que le corps était fatigué puisque j’avais fini l’Ironman d’embrun une grosse semaine avant et fait l’ascension du Mont Blanc avec un copain 3 jours avant.

On bippe et on se met dans la file de départ avec tous les drapeaux pour descendre en marchant la raide rampe d’entrée du Fort au son d’une musique très sympa (que Sylvain reconnait mais pas moi). Le départ est donc dans 2-3 minutes… le temps suspend son vol dans ces instants juste avant de basculer dans l’aventure. J’adore ces courts moments d’une intensité incroyable.

On descend les marches et on passe le pont. Sur la gauche, je vois le devant du peloton où presque tous les concurrents trottinent, ce qui me surprend beaucoup. On est plutôt vers la fin du peloton avec Sylvain et on a bien l’intention de ne surtout pas courir. Je retrouve aussi Tony avec qui j’avais partagé l’ascension du col de Malatra sur le Tor dans un groupe de 4 (dernier col de la course).

A la fin du pont, Cyril est là. Je fais un crochet de quelques mètres pour lui empoigner la main et lui dire les yeux dans les yeux « Merci pour tout ce que tu as fait ».

Le rythme de marche dans la descente est très rapide (plus de 6 km/h) et se maintient sur le parcours entièrement au soleil. Il n’y a pas d’ombre, on brule sur place et je demande à Sylvain de ralentir l’allure car on remonte beaucoup de concurrents (certains nous redoublent dans les descentes en trottinant). Je sais que par canicule, je tiens environ 20 km avec 2L d’eau et que je dois boire beaucoup car je suis très sensible à la déshydratation.

Troisième erreur : au lieu de boire que ma poche sur le dos et donc avoir en marge de secours visible ma poche avant, je bois dans les 2 et lorsqu’arrive rapidement le village d’Illas et sa fontaine au km 13, je ne pense qu’à recharger ma poche de devant vide en me disant (sans vérifier) que ma poche à eau doit contenir encore environ 1.5 L. On est arrivé très vite à ce premier repère de 13km en 2h30, ça fait largement plus de 5km/h. Ce rythme m’inquiète avec cette chaleur et je me dis qu’on va prendre un gros coup de buis. Du coup, je bois énormément pour ne pas me retrouver en détresse. Je ne pisserai en effet que 2 fois sur toute la première journée, assez foncé qui plus est, tellement je transpire.

Après Illas, une longue montée où l’on trouve plus souvent de l’ombre, fait un peu descendre la température ressentie, mais on continue d’avancer un peu trop vite à mon gout. On continue à beaucoup doubler, puis peu à peu, on se stabilise au niveau du peloton. Moins de 10km plus loin et juste avant le premier col, ma poche à eau est vide…. « Merde, quel con, il me reste que 0.6L pour plus de 10 bornes ». J’en parle à Sylvain qui me dit qu’il a lui aussi très chaud et vient de commencer à rationner l’eau qui lui reste. On ralentit pas mal, on est touché. Pourtant on continue à doubler. On ramasse Vincent Hulin, le journaliste écrivain dans cette montée, qui est en train d’agoniser sur place (il nous dit en passant « j’ai l’impression d’avoir couru 100km là, ça va pas du tout »). Un peu plus loin, c’est Roberto le sympathique Sicilien qui est en grosse difficulté. On rattrape et double Filippo qui fait une petite pause les pieds à l’air et lui a l’air frais par contre. On échange quelques mots sans s’arrêter. Par chance, un peu plus loin, on trouve une flaque de boue avec un peu d’eau stagnante et comme Sylvain a un filtre à eau portable, on boit directement à plat ventre dans cette flaque de l’eau bien fraiche par petites gorgées délicieuses.

Un peu plus loin, Sylvain s’aperçoit que son cathéter (insertion sous la peau de la pompe qui lui administre l’insuline en continu) s’est arraché.

Une seconde pause au bord d’une rivière encore d’une dizaine de minutes après une longue descente bien raide peu après avoir passé le joli Roc de France (marquant la frontière avec l’Espagne, très jolie vue). On boit dans la rivière et on ne recharge pas les poches et gourdes en se disant que le premier CP n’est plus très loin. J’en profite pour mettre les pieds à l’air et remettre un peu de NOK avant de repartir. Les paysages sont très typés méditerranéens avec beaucoup d’arbustes. Le soleil tape toujours très fort même s’il commence à baisser sur l’horizon. J’ai le dessous des pieds qui brûlent un peu. Sylvain répare son cathéter mais est resté presque une heure sans insuline.

Les kilomètres passent rapidement en discutant avec Sylvain et d’autres coureurs que l’on double. Il y a pas mal de dénivelé et les chemins contiennent quand même régulièrement de la caillasse. Du coup, la moyenne chute un peu mais reste élevée. C’est Sylvain qui demande à ralentir pour récupérer sa glycémie

Un sympathique Québécois nous rattrape. Il s’appelle Yvan L’Heureux et Sylvain a déjà discuté avec lui (je suppose sur le net). On discute bien tous les 3. On raconte des blagues, on parle de nos vies… c’est un super moment et on avance sur un bon rythme sans voir le temps passer.

Je tombe à court d’eau mais heureusement 1km après, sans même nous en rendre compte, nous voici arrivés au CP1 l’écogite de la Palette. Juste avant le CP, nous doublons Wouter Hamelink, une grosse pointure internationale (qui a déjà participé à la Barkley comme Christian Mauduit d’ailleurs) très déshydraté et complètement hébété. Punaise, ça invite à la prudence. Il est 20h05. Nous avons parcouru 34km avec 1600 de D+ (dénivelé positif) et 1200 de D- en 8h. Je me mets pieds nus (comme je le ferai sur tous les arrêts). On se prend une bière fraîche pas chère (un véritable délice) et on reprend 3 tournées d’une délicieuse soupe d’orties maison pour se recharger en sels minéraux. On grignote plusieurs barres et autres morceaux de quatre quarts. Les proprios sont supers gentils, excellente adresse. Parmi les concurrents, il y en a pas mal qui font la sieste allongés dans l’herbe, certains ont l’air bien touchés. Avec Sylvain et Yvan, on rigole bien et le moral est au beau fixe.

Juste avant de repartir, je remets de la crème sur les pieds qui sont nickels en apparence. Le dessous chauffe un peu quand même.

Quatrième erreur : au moment de sortir ma poche à eau du sac, j’arrache l’accroche du tuyau sans pourtant tirer dessus comme un débile… « Hé merde !!!! ». Situation non prévue et avec cette cagne, j’ai absolument besoin de beaucoup d’eau. Je reste calme et je réfléchis. Sylvain et Yvan me regarde sans savoir quoi faire. Bon je scrute autour de moi et je trouve une bouteille d’eau vide de 1.5L dans une poubelle. Je remplis cette bouteille d’eau ainsi que ma gourde de 0.6 L que je me bénis intérieurement d’avoir prise. Ca me prend 5 bonnes minutes de ré-agencer le rangement de mon sac pour libérer une poche latérale où je mets la bouteille. Je boirai donc uniquement dans la gourde et ferais des transvasements lors des pauses qu’il me faudra faire plus régulièrement.

On repart et la température du corps a un peu baissé avec cette première pause longue (environ 40 -50 minutes).

On continue à discuter. Sylvain se plaint d’avoir les jambes dures, surement de l’acétone à éliminer de son hypoglycémie (si j’ai bien compris). Dans la montée, son ami Stéphane arrive en contre sens. Il est sympa et on discute bien. Un peu avant le col, Sylvain est pris de crampes violentes aux mollets. Il s’étire avec Stéphane et Yvan lui manipule un peu les muscles jumeaux non sans douleurs à en juger par les cris de Sylvain. Des coureurs nous redoublent. On envisage de porter le sac de Sylvain jusqu’au prochain CP, mais le catalan est particulièrement têtu. On passe le col de Paracolls au niveau duquel on allume les frontales. S’ensuit une descente pas bien longue dans laquelle Sylvain retrouve à peu près ses jambes et Yvan prend un peu d’avance (pour retrouver un autre canadien déjà arrivé au CP). Nous voici rendus tous les 3 à notre lieu de sommeil prévu dans un gymnase au village d’Arles sur Tech. C’est le CP2. Nous avons fait 41 km, 2000 de D+, 2000 de D-, il est 22h50.

On sort un lyophilisé et on grignote du saucisson pour accompagner les bières ramenées par Stéphane. L’ambiance du CP est chaleureuse et je peux recharger le téléphone sur une prise après avoir passé un petit coup de fil à Audrey. Ça me fait tellement plaisir d’entendre sa voix. J’ai les pieds à l’air libre et je discute avec Cyril et Patrice qui sont présents ainsi que d’autres concurrents.

Vincent Hulin arrive peu après nous et c’est une véritable équipe de formule 1. On lui donne le repas qu’il n’a pas à préparer, on l’installe sur une table de massage confortable où il dormira, on le masse, lui soigne ses pieds… Je me dis que l’on ne fait vraiment pas la même course. Après il n’est pas déméritant, juste qu’on lui facilite beaucoup de choses.

A la demande de Sylvain, Stéphane me passe avec une extrême gentillesse sa poche à eau avant de repartir.

Un concurrent vient m’aborder en me disant « hé salut, tu me reconnais ? ».

-        Moi : « Heu, ben non désolé » (sourire de circonstance en se sentant con)

-        Le gars « On était sur le Tor en 2014, on avait fait la route ensemble avant la course. »

-        Moi : « Oh punaise oui, t’es revenu de Nouvelle Calédonie ? »

-        Paolo (je me rappelle plus du prénom encore, c’est revenu le jour d’après) : « Oui j’étais de mariage en France début juillet et j’ai vu cette course de tarés, ça m’a donné envie »

-        Moi : « je t’avais vraiment pas reconnu, t’as vachement plus les cheveux blancs qu’il y a 2 ans »

-        Paolo (qui éclate de rire) : « ha ha, je dois avoir des soucis c’est vrai. j’avais 4 enfants en 2014, maintenant j’en ai 6. J’ai eu des jumeaux l’an dernier »

-        Moi : « ha oui quand même, ben écoute moi j’aurai le premier dans 4 mois »

-        Paolo : « c’est génial, félicitations »

-        Moi : « merci, on fait la course à 3, on va essayer de dormir 3 heures. A plus tard »

 On se glisse sous une estrade pour essayer de dormir de 1h à 4h, le lieu est bruyant.

Cyril s’est endormi et ronfle comme un soufflet de forge juste au-dessus de l’estrade. Le passage est continue, les discussions également.

Je sais que je n’ai pas sommeil et ne dormirai pas.

 

Jour 2 (mercredi 20/07) : la solitude et le Canigou

Vers 2h30-3h, Yvan me demande si j’arrive à dormir. Je lui réponds « ben non ». Sylvain a réussi à dormir un peu (genre 30 minutes ou 1 h) et se réveille bougon. Bref, en 5 minutes on a décidé de repartir. On prend un gros café, un petit déjeuner et 30 minutes après nous sommes repartis.

La température est agréable pour marcher dans la nuit et nous continuons de sympathiques discussions à 3. La longue pause, même si je n’ai pas dormi, m’a fait du bien et le dessous de mes pieds (sur lesquels j’ai remis de la crème avant de partir) est redevenu insensible. Nous marchons d’un bon pas tous les 3 sur cette longue montée qui doit nous amener à Batère au km 53 (12km après Arles). Cyril nous a dit que de très nombreux concurrents avaient choisi de s’arrêter dormir à Batère et que tout avait été archi-plein (chambres du refuge et une soixantaine de tentes posées par l’organisation). Pas sûr avec une telle densité de coureurs que la nuit y ait été reposante là-bas non plus. Yvan nous attend régulièrement et donne le rythme devant en ayant l’air ne pas forcer du tout. Je le suis tranquillement en ne voulant pas accélérer et Sylvain ferme plutôt la marche dans ma foulée. A un moment Yvan nous annonce qu’il va prendre un peu d’avance pour se dégourdir les jambes. On le laisse partir en espérant le revoir au CP3. CP3 où est présent mon ami Benoît en tant que bénévole et à qui j’ai commandé une petite binouze fraîche pour le moral.

Pour le moment, Sylvain peine un peu. Il me demande de faire un arrêt au milieu de nulle part et s’allonge sur un rocher, il aimerait dormir 20 ou 30 minutes. Je n’ai pas du tout sommeil et aurait plutôt envie de profiter de la fraicheur et du chemin facile pour avancer avant la canicule du jour. Je lui réponds ok pour 20 minutes et si tu veux rester plus longtemps après, je partirai devant. Il acquiesce. Nous savons tous les 2 que nous espérons avancer ensemble le plus longtemps possible mais nous sommes préparés à voir l’autre partir si nous ne pouvons pas suivre. Il s’allonge sur une grande pierre et somnole. Je rêvasse les yeux grands ouverts. Nous sommes 15 mètres à l’écart du chemin et je vois passer quelques concurrents sans que le bruit de leurs pas soit assez fort pour réveiller un coureur endormi. Nous repartons au bout d’une quinzaine de minutes, Sylvain se sent mieux. Nous voyons régulièrement quelques tentes ou duvets à proximité du chemin. Des concurrents qui semblent dormir dans des conditions bien meilleures que celles que nous avons connues. Note pour plus tard : s’il fait beau, dormir dehors à l’écart du chemin est un bien meilleur plan que sur un CP comme à Arles.

Au fur et à mesure de notre progression, le chemin se raidit et l’état de Sylvain se dégrade. Ce n’est plus le sommeil. Il a mal aux jambes et le souffle court avec une sensation de brûlure dans le torse. Je l’attends régulièrement et il peine. Il ne reste plus qu’un kilomètre de route jusqu’au CP de Batère quand nous sortons du chemin après une pause forcée pour Sylvain. Le soleil s’est levé et la température monte très rapidement avec une très grosse canicule annoncée encore aujourd’hui. On arrive. Sylvain bipe et je ne vois pas d’abord le détour pour aller biper (je le ferai avec 10 minutes de retard sur Sylvain à 7h48). Je commence par retirer mes chaussures et passer aux toilettes. S’en suit une délicieuse bière fraîche offerte par Benoît. Le CP est à court de soupe, je me gave de quatre quart et refais le plein de barres. Sylvain essaye de s’alimenter mais avec grande difficulté. Il a une douleur forte sous forme de brûlure dans la poitrine. Il est allongé sur un banc et me dit de continuer sans lui. Qu’il verra si ça passe et espère repartir un peu plus tard dans une heure ou deux. Je n’ai pas envie de le laisser mais je sais que c’est la bonne solution. Je remplis ma poche à eau, il n’y aura rien jusqu’au km 68 (15 km plus loin) au Chalets des Cortalets au pied du Canigou. Je conseille à Sylvain en repartant d’essayer de joindre le médecin de course pour avoir un diagnostic de son symptôme de brulure.

Me voilà reparti seul, une nouvelle course commence. J’ai le moral un peu dans les chaussettes à ce moment-là et sans m’en rendre compte alors je me mets à forcer l’allure. J’atteins très vite le col de la Cirere et enchaine rapidement les nombreux pierriers qui suivent. Il fait très chaud et je marche régulièrement à plus de 5km/h. Je double d’ailleurs assez régulièrement des concurrents sur cette portion. Avec le recul, j’ai trop appuyé sur ce temps fort. Je transpire abondamment et cela commence à me bruler entre les fesses malgré le strap posé dans mon dos pour éviter le ruissèlement entre les 2 fesses. Et à l’approche de la montée finale sur les flancs du géant catalan, j’ai gagné 2 ampoules : une sur le dessus du petit doigt du pied droit et une sur le talon du pied gauche. Pour ne rien arranger, le dessous des 2 pieds s’est enflammé et j’ai une escalope brûlante sous chaque pied. En l’espace de 12-13km, je me suis abîmé. Je prends conscience de mon état et surtout de ma connerie (cinquième erreur, bravo). Je m’arrête au bord d’un ruisseau et y laisse tremper mes pieds 10 bonnes minutes. Je les sèche et sors ma pharmacie. L’ampoule du talon est sous-cutanée et très peu gonflée, donc je préfère juste poser un Compeed et un bout d’élasto dessus. L’ampoule sur le dessus du petit doigt est bien remplie. Je sors le briquet et détache une épingle à nourrice de mon dossard pour la percer après avoir chauffé la pointe au briquet. Je transperce l’ampoule en 2 points et la vide. Je passe ensuite un Compeed et un bout d’élasto. J’en profite aussi pour me refaire le Tape qui me tient la cheville droite pour réduire l’appui sur la zone de ma récente blessure et me badigeonne de crème hydratante entre les fesses. Je repars presque neuf après avoir remis de la crème sous les pieds. La plante des pieds est toujours bien chaude et je ferais à nouveau bien 2 ou 3 pauses pour me remettre les pieds dans les rivières. Je réduis fortement l’allure et la chaleur m’accable. Je grommelle et m’insulte mentalement de ne pas avoir été prudent. La montée sous un soleil de plomb avec des dessous de pieds brûlants est vraiment longue et pénible. On aperçoit en plus le refuge longtemps à l’avance. Ça parait donc interminable. Sur ces pentes, je décide, comme élément de plaisir motivant, de passer par le sommet du Canigou. J’arrive vers 12h au chalet des Cortalets. Je m’assois à l’intérieur pour commander une bière fraiche et topoter un peu la suite en grignotant ma nourriture froide (noix de macadamia et cacahouètes). En arrivant, je croise Charles Lajus qui repart. Ca fait plus de ¾ d’heure qu’il est là et espérait voir arriver son camarade de marche Denis Boulé (directeur technique de la diagonale des fous venu de la Réunion pour la course).

Alors qu’ils sont en plein service, le jeune homme qui m’apporte ma bière prend le temps de gentiment répondre à toutes mes questions. Il y a 3 chemins pour aller au refuge de Mariailles qui sont potentiellement autorisés par l’organisation :

-        le GR10 qui contourne le Canigou et demande environ 8h30 pour un marcheur lambda

-        la variante GR10 par la crête du pic Joffre passant au sommet du Canigou et avec une désescalade d’une cheminée sous le sommet qui nécessite d’avoir le pied sûr et déconseillée avec pluie ou gros sac, demandant environ 7h30

-        la variante GR10 par la crête des Barbets qui amène au pied de la cheminée finale et permet de continuer en descendant directement sur le refuge Arago, demandant environ 6h30 si on évite le crochet pour la montée au sommet.

De plus, la prévision météo qu’il me donne prévoit des risques d’orages de 17h à 20h

Mon objectif plaisir étant de passer au Canigou, je prends donc le choix intermédiaire pour passer au sommet. Il fait une chaleur terrible, mais le vent qui forcit au fur et à mesure que je m’élève, apporte une relative baisse de température. Les quelques concurrents visibles devant moi bifurque à droite sur le tour. Celui derrière moi prendra comme moi la crête du pic Joffre pour le sommet (balisée en jaune). Ma tête se fait lourde et commence à tourner en montant. Un moment, je me pose la question de l’altitude. Je m’assois sur une pierre et réfléchit un peu. En analysant mes symptômes, je comprends que je suis sous-alimenté et manque de force. Je fais une taille dans mes rations que je mangeais régulièrement par petites quantités pour me refaire un peu. Je réalise qu’il me faudra dès que possible acheter des plats dans les refuges ou restaurants de la route si je veux garder assez de force. Je repars en faisant de courtes pauses régulières pour me laisser le temps de récupérer. Je sais que les coups de mous finissent toujours par passer, même si c’est parfois très long.

Me voilà enfin au sommet du Pic du Canigou à 2784m. La vue est grandiose et dégagée à 360°, mais des nuages noirs menaçants montent derrière la crête des Barbets. Bon ben on ne va pas moisir là. Un couple est là, au sommet, et me propose des abricots secs. J’en mange 3-4 avec plaisir. Je replie les bâtons et les attache sur le sac pour attaquer prudemment, face à la paroi, la désescalade de la cheminée parfaitement indiquée par le balisage jaune. Il s’agit de s’appliquer pour ne pas s’en coller une. Ce n’est pas le moment de marcher sur son lacet !

Les prises sont bonnes et bien que prudemment descendu avec quelques courts passages de niveau III, me voilà très vite en bas de la cheminée. Au moment où je sors, 2 randonneurs arrivent au pied et hésitent sérieusement à monter.

Autant le dessous des pieds était plutôt indolore à la montée, autant ça redevient bien douloureux maintenant que j’attaque la descente. Je m’arrête 15 minutes pieds à l’air à une fontaine pour remplir la petite gourde et mettre à nouveau mes pieds dans l’eau. L’ampoule du talon est indolore mais l’Elasto autour du petit doigt avec ampoule fait des plis et appuie donc sur l’ampoule. Ça fait mal, je « boitouille » un peu et j’hésite à tout refaire. Il commence à pleuvoir et je remballe les pieds en me disant que je vais descendre comme ça jusqu’au refuge Mariailles. Ça monte noir et je croise un randonneur qui n’a même pas de veste de pluie alors qu’il est environ 16h et que j’ai bien descendu 1h depuis le sommet. Je lui demande où il va et il me répond qu’il va au sommet. Je lui dis que je suis surpris qu’il veuille tenter cela avec les orages. Il me répond qu’il ne savait pas qu’il y allait y avoir de l’orage…. Il pleut toujours faiblement. Là, j’hallucine complètement. Je lui déconseille fortement de tenter la cheminée finale s’il pleut. Il hausse les épaules et continue sa route. Franchement, on peut prendre des risques, mais là je me suis vraiment dit qu’il y avait des inconscients pour ne pas avoir pris la météo, ne pas connaître les difficultés du trajet, ne pas être équipé pour affronter la pluie et continuer comme si de rien n’était.

Je continue péniblement ma descente en ayant revêtu ma veste de pluie légère. J’arrive au refuge Arago et la pluie s’arrête même si le ciel reste menaçant. J’ai mal aux pieds. Ça commence à s’échauffer à d’autres endroits mais pas d’autres ampoules. Je remets de la crème et discute avec un gentil couple de randonneurs suisses qui m’offre une pomme. Je repars en mode progression lente. La route est longue et je fais régulièrement des petites pauses pour me mettre les pieds à l’air pour maintenir la température sous un seuil critique. Il ne repleut pas.

Enfin, j’arrive au refuge Mariailles (km 84) vers 18h où je commence par commander une bière. Je suis prêt à acheter n’importe quoi qui se mange. Les tenanciers ont l’air bien fatigués et le refuge est bondé, mais ils acceptent de me faire une grosse assiette fromage-charcuterie-taboulé à 10 euros. J’engloutis l’assiette avec ma bière et démonte aussi la panière de tranches de pain servie avec. En terrasse, des randonneurs discutent et l’un d’entre eux est en train de se faire mousser en expliquant aux autres à quel point c’est dur de finir un marathon (ce qu’il vient de faire). Je me gausse intérieurement et aurai presque envie de me mêler à leur conversation pour lui faire ravaler son orgueil, mais bon j’ai autre chose à faire. Je fais la connaissance de Cedric Fontaine avec qui on discute un peu et qui me propose qu’on reparte ensemble. J’accepte même si je suis franchement grognon. Il est sympa et on papote mais je ne suis vraiment pas super communiquant à ce moment-là. Et puis cette descente est interminable et j’ai mal sous les pieds et je modifie mon pas à cause de mon ampoule du pied droit… bref ce n’est pas là joie et le village de Py, CP 4 au km 93, n’arrive jamais, mais alors vraiment jamais. Je ravale d’ailleurs avec peine mes envies de tuer les gars qui posent les panneaux indicateurs de kilomètres restants. Les chemins sont caillouteux et interminables.

Enfin, arrive le village de Py, il me semble que Cédric m’a distancé juste un peu avant le village, mais je sais plus trop pourquoi. J’arrive et enlève avec joie mes chaussures. Je pointe à Py, km 93. J’hésite entre dormir à Py ou un peu après le village sur le début du col de Mantet. Il est 21h10 et le soleil vient de se coucher (ou est en train de se coucher, je sais plus précisément). Je retrouve Paolo qui va dormir sur place sur une planche à même le sol à côté de la table de ravitaillement. Je lui explique mes irritations sous les pieds et me réponds naturellement « ben achète toi des claquettes et continue avec ». Heu, je vais y penser... J’essaye d’appeler Audrey, mais le seul endroit où je capte est entre le pointage et les toilettes (2 mètres de distance entre les 2). Pas super intime pour une conversation, mais ça me fait extrêmement plaisir de lui parler. Je lui raconte ma journée et surtout que j’ai le dessous des pieds qui brûlent. Je mange un lyophilisé de mes rations et avale 2 verres de soupe que je suis agréablement surpris de trouver là (il ne devait y avoir que de l’eau à Py selon le roadbook). Tony est là et vient de prendre le dernier lit du gite du village. Sur le coup, je l’envie. Nathalie est là aussi et je me dis qu’elle a l’air fracassée… et que je ne dois pas avoir l’air plus frais. Podzi la malaisien et Hendra l’indonésien avec qui j’avais mangé à la fin du Tor 2014 arrivent juste après moi. Les 2 sont épuisés et me disent « What a tougth race ! It’s amazing » (Quelle course difficile ! C’est incroyable). Et encore je ne dis que ce n’est que le début. De gentils bénévoles me conseillent de redescendre 300m en arrière pour prendre une tente de l’organisation et dormir là dans un champ. J’hésite. Repartir en arrière est mentalement un déchirement abominable après cette journée éprouvante. N’ayant pas encore dormi, c’est malgré tout ce que je décide après avoir bien mangé et rechargé le téléphone sur une prise. Le parcours GR 10 donnait pour ma journée 52 km, 2800 de D+ et 2300 de D- (enfin selon la « police » du GR10, beaucoup plus selon les « syndicats » de mes guibolles). J’ai dû gagner environ 5-6km en ajoutant 700m de D+ par la variante du Canigou. J’estime avoir gagné environ 1h de temps mais en lâchant beaucoup de jus aussi. Bref, ça me fait quand même une très grosse journée et comme je n’ai toujours pas dormi, il faut que je me repose. Je repars à contre sens et arrive au champ avec les tentes. Là, un bénévole m’annonce « désolé, toutes les tentes sont occupés »… rha ! Là, je ne suis pas content du tout. Je réponds sèchement « bon ben je me fous dans l’herbe un peu après les tentes alors ». Le bénévole opine et me laisse faire. Je sors le duvet, l’étends dans l’herbe et me glisse dedans tout habillé.

Je vais rester là 1h sans pouvoir fermer l’œil car en plus de mes dessous de pieds qui me lancent, un groupe d’accompagnateurs espagnols situés à environ 20-30m parle ultra fort. Je peste contre ces « p…n d’espingouins » et j’ai envie de leur hurler de fermer leurs gueules, mais bon ça réveillerait sans doute le village et les autres coureurs qui dorment à côté de moi dans les tentes. Au bout d’environ 1h, 2 adolescentes françaises (si je me fie à leur allure et voix) traversent le champ en discutant et ont la bonne idée de me mettre leur lampe torche dans la tronche en passant ; sûrement pour voir qu’est-ce que ce tas informe par terre. Ca achève de me décider : je repars. Je vais trouver un endroit pour dormir plus loin. Je plie mes affaires, repasse au CP et en profite pour prendre un bon café et manger encore une ou deux barres de céréales.

Remettre les chaussures n’est vraiment pas un moment agréable. Me voilà reparti, toujours sans sommeil et il ne doit être minuit passé. Juste 500m à la toute sortie du village, il y a une bâtisse qui fait l’angle de la route avec un petit porche en pierre et une porte condamnée à seulement une quinzaine de mètres du chemin. Bingo, je tente à nouveau d’y déplier mon paquetage. Le sol est fait de pavés inégaux que je sens malgré mon demi-tapis de sol. Dans mon bivouac de fortune, je sombre assez rapidement pour un réveil mis 2h30 plus tard (j’aurais sûrement du mettre plus).

 

Jour 3 (jeudi 21/07) : les pieds qui morflent

Un sommeil entrecoupé de réveils brefs par le bruit des bâtons sur la route à chaque fois qu’un concurrent passait. Je pense avoir dormi 2h environ. Je me réveille plutôt en forme et avec des pieds qui ne me lancent plus. Je prends le temps de grignoter quelques cacahouètes salées, je plie mes affaires et je file pour l’ascension du col de Mantet 4km et 800m de D+ plus loin. C’est une bonne bavante, mais je monte efficacement. Je me fais rattraper par Vincent Hulin et Alexandre. On fait un gros kilomètre ensemble et on plaisante un petit peu. Ils me lâchent sur une pause que je fais pour vérifier le parcours à un embranchement. Ils ne préfèrent pas vérifier et filent droit.  Seulement 1h20 pour monter au col, j’ai la grosse patate, mais je préfère m’arrêter 10 minutes au col pour aérer un peu les pieds et faire un point topo pour la suite. Il faut se méfier des temps forts, je l’ai trop négligé hier. Le jour devrait se lever dans une grosse heure et la température est délicieuse. On resterait bien des heures assis dans l’herbe à profiter du souffle du vent, des odeurs, des bruits et des clairs obscurs dans la montagne attendant l’aube proche.

Je reprends ma marche. Je rattrape un ou 2 concurrents et un ou 2 autres me doublent. Nous commençons déjà à bien nous espacer. Le dessous des pieds est un peu chaud, mais ça va à peu près. Les ampoules brulent un peu, mais ça va. Je me dis que ça serait chouette d’être podologue sur ce genre de truc pour pouvoir se faire tous les soins. Je passe le village de Mantet en doutant sur le chemin pas bien indiqué, mais la carte IGN me remet dans le bon sens. J’arrive au fond du vallon et fais face à un passage à gué sans rocher (prévu pour les voitures tout terrain) de bien 30cm d’eau et large de 4 ou 5 mètres. J’hésite dans la seule lueur de ma frontale à traverser avec les pieds nus. Un œil à la carte me montre une passerelle, 100m en contrebas après un retour de 50m en arrière. Le courant est assez fort et je prends l’option passerelle.

Le jour se lève et une longue remontée peu pentue vers le Coll del Pla me ramène doucement jusqu’à 2300m. Sur la montée, je vois un moment un concurrent revenir à contre sens… il m’explique qu’il vient de faire 500m en rond. Je repars avec lui et nous arrivons 200m plus loin à un endroit où une marque GR est clairement évidente sur un gros rocher en contrebas sur un chemin mal défini et le chemin à peine plus marqué continue en légère montée. Il m’explique qu’il a suivi en bas et que ça revient sur nos pas. Un coup d’œil à la carte GPS et, en effet, il faut tirer à droite et on retrouve des marques évidentes 40m plus loin. Objectivement, sans ce coureur, je faisais la même erreur.

Je fais une longue pause à ce col les pieds à l’air pour me remettre de la crème et je sens le sommeil qui me retombe dessus. Il fait déjà chaud, mais c’est moins violent que les 2 premiers jours. Je me dis que j’essayerai de dormir vers le refuge de Ras de la Carança au km 108. J’attaque la descente scotché au sol, les pieds me brulent et je m’arrête régulièrement pour les plonger dans l’eau glacée. Je m’endors à moitié en marchant par moment. Vers le milieu de la descente, dans une prairie herbeuse, je décide de sortir du parcours et d’essayer de m’allonger à l’ombre d’un arbre pour laisser le corps se reposer. Il doit être plus de 10h. Je mets les pieds à l’air, nettoie sous moi et prend juste le drap de soie et le duvet (pas le tapis). Je me glisse tout habillé avec les pieds surélevés par mon sac. Je sombre en ayant mis le réveil vers 13h. J’ai pris soin de m’éloigner assez du chemin et je n’entends aucun concurrent (à la sortie de Py, j’entendais dans mon sommeil le bruit des bâtons qui tapaient sur la route depuis mon abri sous le porche).

Je me réveille sans la sonnerie avec la sensation d’un vrai sommeil réparateur cette fois-ci. Je repars gonflé à bloc et avec beaucoup moins mal aux dessous de pieds. Je n’ai pourtant dormi qu’une bonne heure. Le chemin est un peu long mais pas trop dur et même s’il fait maintenant bien chaud, il y a pas mal d’ombre qui rend la situation plus gérable.

Apparait le refuge devant lequel je pose tout mon barda. J’ai décidé d’y acheter à manger et une bonne bière. Il y a une femme et un homme au service. Ils courent partout et nous affirment n’avoir jamais été prévenus qu’il y aurait une course. La femme se fout même franchement de notre gueule de payer pour nous mettre dans cet état. Pas sympa du tout l’accueil. Le refuge est plein à craquer de coureurs. J’y retrouve Nathalie si je me rappelle bien. Ce sera donc un sandwich (plus rien de chaud disponible) et 2 bonnes bières fraîches (on monte en charge).

Un plein d’eau, une pause grosse commission en toilettes sèches (petit crochet de 200m nécessaire) et c’est parti pour une grosse bavante de 3.5 km pour 700m de D+. Il fait très chaud, mais bizarrement en conservant mon rythme régulier je double concurrent sur concurrent dans cette montée avalée en seulement 1h10.

Le chemin ensuite passe par l’abri de l’Orri où je refais le plein et que j’atteins au prix d’une grosse chauffée de la machine (5km de faux plats montant avalés en 1h pile). Je m’ennuyais et ça m’a occupé l’esprit en marchant seul d’accélérer mais je réalise bien en y arrivant que c’était une connerie puisque ça m’a réveillé les inflammations sur le dessus des pieds. Cinquième erreur : ne pas accélérer, on le paye cher sinon. Longue pause à ce refuge et crémage en règle des pieds. S’en suis une traversée de la large rivière à gué sous le refuge très rigolote en sautant de pierre en pierre sans tomber dans ce large torrent me faisant gagner 500m du parcours. Certains diront que c’est de la triche, en fait c’est juste du jeu. Je m’amuse à prendre un risque, mesuré, que je trouve rigolo (je risquais de me retrouver dans presque 1 m d’eau sur certains sauts, mais j’en serais pas mort).

A ce moment où je choisis de faire cette traversée, je réalise bien que je ne suis pas là pour une course : c’est un jeu. Une parabole de la vie en fait, on trouve dans cette aventure, ce que l’on y amène. Je cherche juste à prendre du plaisir et à continuer mon bout de chemin. Exactement comme pour le Canigou, ou un gamin un peu actif qui va faire des bêtises pour expérimenter son environnement. Je suis en train de jouer un jeu formidable dans un décor incroyable ! Et je suis heureux comme un gamin qui saute dans les flaques…

La longue descente sur Planes est interminable avec le dessous des pieds qui brûlent. Je m’arrête régulièrement remettre de la crème ou les tremper dans l’eau. J’avance prudemment mais les passages sur des pierres surchauffées qui partent sous les pieds n’est pas une expérience super agréable.

Enfin le village de Planes. Je passe ¼ h les pieds dans la fontaine du village à les refroidir autant que possible. Je les sèche bien et essaye de soigner un peu. J’ai maintenant 5 ampoules (celle sur le talon reste insensible et 4 autres sur des doigts de pieds (dessus les 2 petits et 2 dessous d’autres doigts). La chaleur et les rochers détruisent les pieds, c’est incroyable par rapport à un ultra trail. Je ne suis pas hyper à plaindre, mais je n’ai jamais eu mal aux pieds comme ça. C’est comparable avec l’état au Tor au bout de 280km (où j’avais couru en plus sur les 80 premiers kilomètres), mais là j’en ai fait tout juste 100 et sans jamais courir. J’échange quelques SMS pour m’occuper l’esprit. Audrey m’apprend l’arrêt par le médecin pour Sylvain, j’ai le moral dans les chaussettes et je me sens fatigué. Benoit m’avertit qu’il est en renfort au CP5 et qu’il s’y trouve un podologue. Ça me met un peu de baume au cœur.

Section longue (très longue même) et moche pour rallier Bolquère depuis Planes CP5. Il y a beaucoup d’activité humaine, on entend les voitures partout. J’arrive enfin à Bolquère et pointe à 19h21. Juste avant le ravito, il y a Cyril qui me demande comment je vais. Je suis sincèrement heureux de le voir et lui souris grandement. Il pense aussi m’apprendre que Sylvain a été arrêté et évacué sur une clinique pour suspicion de début d’infarctus (heureusement non avéré). Son attention me touche vraiment. Les moments d’humanité de ce genre sont précieux et pansent toutes les blessures.

Je retrouve Benoit qui me tend une bière : que ça fait plaisir aussi de te retrouver mon ami ! On me dit que je suis 168° (on nous avait dit environ 260 partants au final). Ça me fait aussi me dire qu’il reste pas mal de monde derrière même si j’ai l’impression d’être vraiment aux fraises (au final 218 atteindrons le CP5 au km 128).

Un passage au toilettes et je décline la douche que me propose Patrice (j’ai rien pris pour me laver et n’ai prévu de le faire qu’à chaque base de vie (tous les 4 jours environ). Je m’installe au stand podo et lui montre mes pieds en lui demandant de soigner mes 4 ampoules (on ne va pas toucher à celle du talon qui ne bouge pas) et protéger 3-4 autres doigts de pied qui commencent à être zone de frottement. Et ensuite de m’appliquer ce qu’il peut pour le dessous des pieds qui brûlent.

Le gars me traite de douillet de me plaindre de ces petites ampoules… heu franchement je ne pense pas là. Bon, il me montre la photo d’un pied d’espagnol qui est reparti peu avant moi… bon en effet, le mec à l’os à nu sur un doigt de pied et il est reparti… vu comme ça, on peut dire en effet que je suis douillet finalement. Bon, il me remballe ça et me conseille de protéger les zones de frottements avec de l’Ipafix ou du Tape plutôt que de l’Elasto qui fait des plis (plis qui forment de nouvelles ampoules). Je prends le conseil avec plaisir, j’ai pris du Tape avec moi.

Il a l’air bien fatigué et m’informe qu’il devait être à BV1 (km 166) mais face à la détresse de l’état des pieds de très nombreux coureurs, Cyril l’a fait avancer au CP5 (merci Cyril). De plus, il me dit que sur un ultra trail comme le Tor des géants, on soigne 30 à 40% des coureurs au niveau km 100 – 150, mais que là il a déjà soigné près de 90% des coureurs passés… On se sent moins seul dans la galère du coup.

 

Il me passe ensuite une bombe à froid sous les pieds qui m’insensibilise et il me conseille de garder les pieds à l’air libre au moins 2-3h. Je choisis donc de prendre une tente et d’aller dormir pour me réparer ça au mieux. Je n’aurai fait que 32 km avec 2600m de D+ et 2100 de D- aujourd’hui, ce qui est très loin de la moyenne espérée de 53km/jour

Je prends des forces en mangeant pas mal de trucs divers et variés en snack et file donc dans la tente. De plus, c’est le seul endroit où mon téléphone capte et je décide donc d’y appeler Audrey à ce moment-là. Je parle fort sans m’en rendre compte et me fait engueuler par des coureurs de tentes voisines… oups, pardon. Je mets le réveil 5h plus tard dans mon bivouac 3 étoiles (une tente pour moi tout seul). Faut vraiment que je récupère.

 

Jour 4 (vendredi 22/07) : Regain de forme et nuit en enfer

Je me réveille avec la sonnerie du téléphone. J’ai un peu la grosse flemme. Je ne peux m’empêcher de me dire que je suis tellement bien dans mon bivouac, que je passerais bien encore pas mal d’heures dans mon duvet. Bon allez, hop hop hop ! Je me motive et plie les gaules. Je repasse prendre un bon petit déjeuner dans le snacking et prends même un verre de nouilles (je n’avais pas fait attention la veille qu’il y en avait sur ce point). Je repars non sans avoir remercié Benoit toujours sur le pont en tant que bénévole depuis le départ. Il me donne rendez-vous normalement au CP11 à Fos, prochain CP qu’il doit voir. Je lui réponds que FOS est encore très très loin et qu’on verra au fur et à mesure. Cyril, encore debout, nous met en garde sur l’orientation au refuge de Bessines, il y a plusieurs GR qui s’y croisent et le premier de la course (le portugais Joao) n’a pas pris le bon et s’est retrouvé à faire 30km de trop… Ha ouais, quand même. OK, on fera gaffe alors !

 Au moment de repartir, il y a un norvégien, Mats, qui repart et marche à la même allure que moi. Du coup, on fait route naturellement ensemble dans les forêts et prairies d’altitude où on croise de nombreuses vaches et où je trouve même un joli cèpe (que je ne ramasserai pas, tant pis) sur le bord du chemin. Il est jeune (30 ans max je dirais), coach sportif, a déjà 2 gamins. Avec sa femme, coach sportif comme lui, ils sont des habitués du Norseman (j’ai déjà tenté 2 fois le tirage au sort sans succès). Il coache même des triathlètes norvégiens internationaux. Il était aussi sur le Tor 2014 qu’il a bouclé en juste 40 heures de moins que moi… bon ben c’est un client encore ça. Mais au niveau orientation, je suis clairement plus efficace que lui dans la nuit (à laquelle s’ajoute du brouillard par moments). On papote en anglais et c’est super stimulant intellectuellement et enrichissant culturellement. Au passage, il me dit qu’il est ravi de trouver un français qui arrive à tenir une conversation en anglais.  On marche d’un bon rythme à la lueur de nos frontales mais en étant faciles et sans pousser la machine. Le jour se lève quand nous arrivons au lac sous celui des Bouillouses et les volutes de brume sur le lac dans le jour naissant donne un côté surréaliste aux paysages.  Je suis à nouveau ravi de parcourir cette aventure et le partage avec Mats est vraiment extra. En plus, mes dessous de pieds sont quasiment indolores. Mats me dit être fatigué car il n’arrive pas à manger correctement. Il est fortement allergique au gluten et ne peut donc pas manger beaucoup de choses. Et les rations qu’il a avec lui sont insuffisantes pour qu’il mange assez par rapport à l’ampleur de la tâche. Il a sous-estimé les dépenses de l’épreuve (comme beaucoup de monde en effet) et me dit, en plus, qu’il a égaré une partie de ses provisions (je n’ai pas trop bien compris où et comment mais bref il n’arrive pas à manger assez).  Nous voici rapidement au barrage des Bouillouses ou je propose une petite pause de 15-20 minutes à Mats qui accepte avec plaisir. Il doit être 8h du matin et le proprio accepte de me servir une petite omelette aux patates et un café pendant que Mats prends un café. J’engloutis ça vite avec les pieds à l’air dans le refuge. Je me remets de la crème sur les pieds et arrive à faire un point météo qui m’annonce qu’on part au carton pour la suite. Des orages assez forts sont annoncés tout l’après-midi et la nuit (avec retour du soleil le lendemain). Bon ben c’est reparti après moins de 30 min passées au refuge-hôtel. Direction le col de Coma d’Anyell à 2470m qui marque l’entrée dans l’Ariège et la fin des Pyrénées Orientales.

Je m’étais dit que j’espérais arriver avec 10 à 15h d’avance à la BV1 sur la barrière horaire (temps limite prévue pour arriver à 1h du matin dans la nuit suivante) pour aborder sereinement l’Ariège que je savais compliquée. J’essaye d’estimer le temps qu’il me reste jusqu’à la base de vie et je réalise que je n’aurai pas cette avance. Au mieux, j’estime arriver avec 10h d’avance et repartir avec 8h d’avance sur l’horaire limite (85 heures pour la théorie de 166km et 9000m de D+). Je me dis que j’avais sous-estimé la technicité des chemins du 66 (beaucoup de caillasses quand même) et l’impact de cette terrible canicule des 2 premiers jours sur mon organisme et mes pieds.

Les nuages sont présents lors de notre contournement du grand lac des Bouillouses et s’épaississent et noircissent au fur et à mesure que l’on s’élève. A environ 200m de D+ du col, au moment où on commence à l’apercevoir, le vent se lève en rafales. Il fait froid et je dis à Mats qu’on doit passer rapidement la tenue de pluie complète avant que ça ne pète. Je prends la veste de pluie trail et son pantalon + le poncho pour couvrir le sac et à peine 5 minutes après la pluie forte commence. On force l’allure, mais à ce moment-là, je suis pris d’une irrépressible envie de faire ma grosse commission…. Je me crie à moi-même « merde ! » (c’est approprié en plus) et informe Mats que je dois absolument m’arrêter 5 minutes. Il n’y a rien pour m’abriter, j’essaye juste de me mettre derrière un gros rocher pour réduire le vent que je prends. Mats reste là 2 minutes puis me dit qu’il faut absolument qu’il continue en marchant doucement. Je fais mon offrande à dame nature les fesses à l’air sous un sacré orage… franchement je n’avais jamais été dans cette situation, mais je vous la conseille pas. La pluie glacée redouble d’intensité quand j’essaye de m’essuyer vaguement les fesses avec un kleenex trempé… puis les doigts dans quelques brins d’herbe mouillés. Je remets short et pantalon de pluie en place en grelotant et repars vite en direction de Mats qui a attaqué la dernière rampe sous le col. En 2 minutes, je suis revenu à sa hauteur et il m’annonce qu’il est transi de froid et me demande qu’on marche le plus vite possible pour se rechauffer. On attaque donc cette dernière rampe sur un très gros rythme que je mène. La pluie se transforme en grêle lorsque nous arrivons au gros névé qui barre le col. On arrive facilement à le traverser mais la grêle est impressionnante. Nous sommes à 2500m, sous un orage violent, en train d’attraper des grêlons gros comme des doigts. Tout est noir autour de nous et le tonnerre résonne et fait trembler la montagne illuminée d’éclairs. Je compte le temps entre éclair et tonnerre (entre 2 et 4 secondes)… punaise 1km du centre de l’orage, on est en plein dedans. On attaque la descente sur un très gros rythme, nos chaussettes sont trempées. Je sais qu’il y a une cabane située juste un peu plus bas du col sur le GR10, il faut qu’on y soit au plus vite. La progression n’est, en plus, pas facile avec quelques petits névés et quelques gros pierriers à traverser qui nous obligent à descendre certains passages sur les fesses prudemment. Par moment, on marche avec les bras au-dessus de la tête pour réduire l’impact des grêlons sur nos têtes. On n’est vraiment pas fiers. On arrive à se réchauffer en continuant à marcher vite. Enfin la cabane apparait en contrebas. Je la montre à Mats en lui disant qu’à ce rythme, on y sera dans 10 minutes. On arrive avec soulagement et nous ne sommes pas seuls à avoir trouvé abri dans ce petit bâtiment. Une dizaine de personnes y sont : 5-6 randonneurs qui voulaient monter au Carlit (désolé, mais ça sera pas pour aujourd’hui à mon avis) et 2-3 autres concurrents. On prend le temps de manger un peu en discutant avec les autres occupants de l’abri 15-20 minutes. J’en profite aussi pour remplacer mes chaussettes trempées par mes chaussettes doublés Gore-Tex pour éviter à mes pieds de macérer dans l’humidité. Environ 20-30 minutes plus tard, la grêle diminue en intensité, le vent faiblit fortement et la durée entre éclairs et tonnerre augmente : l’orage s’éloigne. On s’est bien réchauffés, tous serrés à l’intérieur. Après un point topo sur la suite du parcours, je propose à Mats de repartir. Il acquiesce. Un autre concurrent souhaite aussi repartir en même temps car il a du mal à suivre le chemin. On repart sur un bon rythme pour ne pas se refroidir. La grêle continue de tomber, plus fine, encore pendant environ ¾ d’heure, puis une légère pluie la remplace. On distance le concurrent qui s’était joint à nous. Le temps passe lentement. Mes pieds restent secs avec mes supers chaussettes. On croise un groupe d’une dizaine de randonneurs avec leur ponchos qui prennent l’eau et en short en dessous. Ils font tous la gueule sauf un qui s’arrête échanger un peu avec nous. Il est content d’être en montagne et il habite dans une vallée dont j’ai oublié le nom en Ariège. Il s’est joint à un groupe CAF de je ne sais plus quelle ville parce qu’il y avait un de ses amis dedans. Ouais ben pour les citadins, c’est plutôt soupe à la grimace là. La route est assez longue avec des pierres régulièrement, mais on arrive finalement au refuge de Bessines. Je propose à Mats qu’on essaye d’y manger quelque chose et qu’on fasse une longue pause de 40-50 minutes. Il est d’accord. Comme il a faim et que normalement il peut manger des œufs, il essaye de manger une omelette mais me donne les morceaux de jambon fournis avec le plat (il est végétarien en plus). Je troque la traditionnelle bière par un mug de vin chaud. C’est parfait pour se réchauffer.  Je refais mes pansements aux doigts de pieds que la pluie avait défaits et me remets de la crème hydratante. Le dessous est redevenu complètement indolore. La bonne nuit de repos, les soins du podologue et une allure mesurée depuis ce matin (sauf sous l’orage mais cela n’a pas prêté à conséquence) ont été une stratégie gagnante.

Dehors la fine pluie s’arrête et les nuages sont de moins en moins présents. On repart avec Mats sur un rythme bon et mesuré pour cette descente sur la première base de vie (après une petite remontée d’un col sur les 2-3 premiers kilomètres). Le moral est excellent et les discussions avec Mats en anglais toujours aussi passionnantes. Col atteint en ¾ d’heure. Descente prudente assez longue mais qui se passe bien. A 4-5 km d’arrivés au village, on l’aperçoit depuis le chemin et on décide d’essayer d’appeler nos compagnes respectives tout en marchant pour donner des nouvelles. Bingo, ça capte ! Je passe bien 10-15 min avec Audrey à lui raconter mes dernières nouvelles et prendre un peu aussi des siennes. Elle s’inquiète pour moi (normal hier ça n’allait pas avec ses satanés dessous de pieds brûlants). Elle me transmet aussi les nombreux messages d’encouragement et l’engouement des personnes qui suivent la course et les nouvelles sur la page Facebook. Elle m’informe aussi de l’actualisation des dons sur la collecte pour les enfants. C’est vraiment génial et motivant tout ça !

A environ 2 km du village, le parcours passe par des sources chaudes avec 5 ou 6 randonneurs présents dedans. Je propose à Mats qu’on s’y détende les jambes 5 minutes. Il décline en disant qu’il préfère arriver au plus vite à la BV. Bon ben moi je m’y mets. Hop, je pose le sac et me met en slip. Je m’immerge les jambes entières dans l’eau qui doit être autour de 30°. La sensation est délicieuse et je me dis qu’on pourrait rester longtemps à savourer cela.

Il me tarde quand même aussi d’arriver et à peine 5 minutes plus tard, me voilà qui repart. Il recommence à tomber quelques gouttes et je repasse la veste de pluie. Arrivé au village, je vois clairement le départ de notre reconnaissance 3 semaines plus tôt avec Sylvain. Je repense à lui et lui envoie un SMS ou 2 pour prendre des nouvelles (ou je l’ai appelé, je ne sais plus précisément, j’en avais pris aussi juste avant Bolquère, suite à l’annonce que m’avait faite Audrey).

On traverse le village et on sort du GR10 pour aller chercher au moins 1.5 à 2km plus loin sur le GR107 le camping du village qui est la base de vie. Benoît est finalement là en renfort de l’équipe bénévole (il m’en a informé par SMS). Je suis presque à la fin de mes rations alimentaires, le dosage était bon.

Je suis ravi d’arrivée ici à Merens les Valls (km 166, 9000m de D+) et je pointe à 16h41 (donc après 76h41 de course, 169° sur 206 qui rallieront la base). Par contre ici l’orage a fait des dégâts car les dropbags sont insuffisamment protégés sous quelques bâches et une toile insuffisamment grande à l’air libre. Plusieurs dropbags sont trempés. Le mien est mouillé, mais j’avais pris soin de compartimenter à l’intérieur dans des poches poubelles séparées : pharmacie, vêtements, batteries/piles, … .Tout est donc encore sec. La douche est assez loin (200m) et Benoît me propose de porter mon dropbag jusqu’à la douche et de me le ramener aussi. J’accepte avec un immense plaisir. C’est ma première douche (chaude en plus) depuis le départ et je vais aussi en profiter pour me changer (slip et chaussettes) pour la première fois de la course (j’avais prévu quelques feuilles de savons pour toilette de chat en cas de début de démangeaisons, mais je ne les ai pas utilisées pour le moment). La sensation est parfaitement délicieuse. Je me lave également les dents pour la première fois depuis 4 jours (et pourtant j’avais la brosse et un peu de dentifrice avec moi, mais je n’y ai juste jamais pensé avant). Ensuite, je passe faire les tests médicaux 15 à 20 minutes avec l’équipe italienne. Ils me disent que tout va bien pour moi en plus et je plaisante avec eux et le sympathique Ahmed de l’équipe d’organisation.

Me voilà ensuite qui m’assied à la table de repas où je retrouve Mats arrivé 5 minutes avant moi. On me prépare une assiette de raviolis, on me réchauffe une soupe à l’oignon et en plus, cerise sur le gâteau, la bénévole me propose une demi-bière (enfin une bière à partager avec un autre concurrent). Hum, elle n’est pas belle la vie ? Sur ces fourneaux sommaires, il y a une casserole qui contient aussi un reste de riz froid, je lui demande si ça la dérange pas que je l’en débarrasse. Elle rigole « non non, vas-y »… hop pendant la cuisson des pâtes, je lui récure sa casserole de riz. Je demande à Mats combien de temps il veut rester avant de repartir. Il me répond qu’il vient de décider qu’il ne repartirait pas… Ah merde ! c’est triste. Mais cela n’arrive pas à entamer ma bonne humeur.

Plusieurs coureurs se sont dit choqués par le manque de moyens de cette base de vie (allant même jusqu’à parler de base de mort pour certains…). Là, franchement, on n’a pas dû passer au même endroit. Bon les dropbags trempés, c’est clair que c’était pourri, mais il y avait bien à manger, des douches chaudes, de quoi dormir dans des tentes, des services secouristes bien présents (manquait que le podo parti sur le cp5). Donc quand certains réclamaient « une base de vie digne de ce nom » (je cite), ça me fait vraiment penser qu’ils n’avaient vraiment pas compris l’esprit de ll’aventure pourtant bien annoncé par l’organisateur. Je mange bien et file avec mon dropbag sous la grande tente prévue pour se changer et refaire le sac avec les réapprovisionnements. Je prépare mes affaires et me motive à repartir le plus vite car je sais bien que ce qui nous attend jusqu’à la redescente sur Beille est vraiment compliqué et que j’aimerais en faire le plus possible avant la nuit. Une fois mon sac prêt (j’ai pris ma ration de nourriture et j’y ai ajouté mes claquettes fabrication maison) et mes pieds soignés (avec mes ongles coupés aussi), un nouveau point météo m’annonce la tempête avec fort vent et grosses pluies de 23h à 5h. Après avoir hésité un moment à faire une grosse nuit dans la petite cabane repérée avec Sylvain sous le col de Lhasse, je me donne comme objectif d’être au refuge du Rhule (km 176, soit 10 km plus loin) vers 22-23h et y dormir. Je repars motivé à bloc à 19h.

Je manque me tromper de chemin en suivant les marques blanches et rouges à la sortie du camping. En fait, c’est le GR 107. Il n’y avait aucun petit balisage pour indiquer de prendre la route qui monte et repars vers le gr10. J’essaye d’appeler l’organisateur pour signaler qu’il faudrait mettre un petit quelque chose là mais la messagerie est pleine sur 1 numéro et je laisse un message sur le second du roadbook.

Je marche d’un bon pas mesuré et monte la route. Arrivé au bout de la route, je cherche le raccord vers le GR10 qui est de l’autre côté d’une rivière. Un passage bien boueux et rocheux m’amène finalement de retour du bon côté de la rivière. Merci encore aux cartes IGN au 1/25000 sur Mytrails dans mon téléphone pour le coup car c’était pas du tout du tout évident. J’essaye en attaquant la montée raide et longue de me rappeler vers quelle heure tombe la nuit. Le ciel est bien couvert et donc dès que le soleil sera couché, il fera nuit. Je sais que le début de la redescente est très raide et exposé. J’espère y passer avant la nuit. De ce fait, je monte d’un bon pas et double une demi-douzaine de concurrents dans cette montée. Je ne fais pas de pause et vise le col de Lhasse à 2400m avant la nuit. Sur la fin, il y a beaucoup moins de névés que 3 semaines plus tôt, mais malgré mes efforts j’atteins le col environ 15-20 minutes après la tombée de la nuit. Arrivé au col, le vent se lève fort et la brume humide fait aussi son apparition. Je repasse la tenue de pluie pour me protéger du froid et du vent. Je m’applique sur le début de la redescente qui glisse avec la pluie de la journée. Dès que j’ai fini la partie raide de descente, il se met à pleuvoir. Le vent se renforce, le brouillard aussi. J’entre de nuit dans un champ d’éboulis au-dessus du lac du Rhule. Les gros blocs sont glissants, il s’agit de bien s’appliquer. La progression est très ralentie.

La pluie redouble d’intensité et je perds le chemin… Merde, le téléphone tactile devient difficile à utiliser avec la pluie battante (l’écran ne répond plus, je dois le regarder à l’intérieur de mon tee-shirt sous le poncho en l’essuyant sur le tee-shirt). Je suis pourtant censé être sur la trace… je ne comprends pas. J’avance un peu dans la direction que je pense être la bonne et trouve par terre entre 2 rochers un panneau cassé en plusieurs morceaux. Je rassemble les morceaux et y apprends que le chemin a disparu aujourd’hui dans un gros éboulement. Ha-ben voilà, je l’avais pas encore faite celle-là ! Il tombe des hallebardes, j’y vois à 20m avec le brouillard, il fait nuit et je cherche un chemin qui n’existe plus depuis quelques heures… bon bon bon, on reste calme. J’estime avec mon téléphone un azimut à suivre et je vérifie l’info avec ma boussole. Je pars donc à la recherche de l’autre bout du chemin escaladant gros bloc de rocher par gros bloc. C’est long et je fais des points GPS régulier. Dans ma tête, je suis en mode survie. Là, entre 2 gros blocs, je tombe sur un asiatique visiblement tétanisé de froid. Il est vrai que je commence à avoir froid aussi avec mon simple tee-shirt sous mon poncho+veste et pantalon de pluie. Il doit y avoir 80 km/h de vent, 10m de visibilité et une pluie dense comme un rideau de douche… Quand j’arrive à sa hauteur, le gars me montre dans sa main son GPS et me crie « low battery ». Je comprends que son GPS est soit mort, soit qu’il ne peut pas changer les piles. Je le dépasse en lui lâchant juste un « Follow me. You walk or die ! ». Il m’emboite le pas et je l’entends qui souffle fort derrière moi. Peu après, nous retrouvons enfin les marques du GR. La portion éboulée est derrière nous. Les éboulis sont toujours pénibles et glissants mais c’est moins de l’escalade. Par contre le brouillard, le vent violent et la pluie intense continuent. Je distance l’asiatique et me retrouve vite seul. Je me dis que je suis en train de faire exactement tout ce qu’il ne faut pas faire quand on randonne. Progression de nuit, météo difficile, visibilité nulle… heureusement que je ne me perds pas. Mentalement, c’est une épreuve mais enfin je finis par apercevoir la lumière du refuge de Rhule qui m’apparait comme irréelle tant je l’ai attendue. Le brouillard est un peu moins épais (visibilité à 50m environ), le vent un peu moins fort (genre 60km/h), mais la pluie est toujours aussi intense. La porte principale du refuge est fermée avec une chaine en travers, je fais le tour et trouve une échelle. Je me dis que c’est un accès au refuge d’hiver laissé accessible pour la nuit. Je monte péniblement la dizaine de marches. En haut, ce sont en fait les dortoirs et je prie pour que la porte soit ouverte. Elle s’ouvre et je rentre en me demandant du coup quoi faire puisque tout le monde doit dormir. Un coup d’œil à gauche et une porte est grande ouverte avec un dortoir entièrement vide. Je dégouline d’eau dans ce couloir. Je suis en mode zombie et entre dans la chambre. Je dépose mon sac contre le mur, accroche mes habits de pluie au porte manteau, pose mon tee-shirt et short un peu mouillés par terre et m’enroule dans une couverture sur un matelas. Je regarde ma montre, il est 1h du matin. Infiniment plus que les 22-23h calculés à la BV… 6 h pour faire 10km, une éternité. Je tremble et n’arrive pas à cesser de trembler. Une journée à 54km pour 3000m de D+ et 2200m de D-. Quel chantier !

Je mets le réveil à 4h du matin et sombre bientôt dans le néant.   

 

Jour 5 (samedi 23/07) : L’Ariège, c’est dur

Le réveil me fait sursauter, je me sens complètement vide de forces. Des images de la nuit passée à progresser contre les éléments déchainés me sautent en mémoire. Je m’extirpe de la couverture, regarde mes affaires trempées et tends l’oreille. Dehors des bruits feutrés me laissent penser qu’il pleut toujours et que le vent est toujours bien présent. Je rassemble mentalement mon courage. Je pense à ceux qui me soutiennent et croient en moi. Je pense aux enfants malades à l’hôpital et me visualise à nouveau ce jour de début janvier 2014 où j’avais découvert Aladin et la Diagonale des Rêves à l’occasion du premier tour de la CUB en courant. Je revois la vitrine de noël animée dans le hall de l’entrée de l’hôpital. Je visualise parfaitement ces 2 visages d’enfants poussant leur perfusion, visage éclairé d’un sourire émerveillé en voyant ces souris en peluche bouger dans la vitrine… Cette image accroche, cette émotion ressentie ce jour-là qui remonte à cet instant me donne la force de me lever et de me rhabiller comme un automate.

On croit souvent qu’il est très dur de porter de longues heures des vêtements froids et trempés. C’est certes vrai, mais il est infiniment plus dur encore après s’être réchauffé lors de la pause sommeil de devoir repartir le lendemain en remettant ces mêmes vêtements toujours trempés. Je mange rapidement quelques poignées de noix de macadamia et une barre de céréales au chocolat blanc et fruits rouges (mon moment récompense avec les bières).

Je sors du refuge et les conditions météo sont toujours celles que j’ai quittées 3 heures avant. J’ai un peu l’impression d’être un voleur en ayant profité 3 heures d’un lit sans régler l’addition, mais je sais que je reviendrai dans ce refuge (pour arriver quand même un jour à voir ces paysages qui nous entoure). Ce refuge nous avait déjà très bien accueillis lors de notre reconnaissance avec Sylvain (ha la petite bière récup à 7h du mat après le lever à 4h). Je pars en mode automate et pour la première fois du parcours manque de concentration sur le suivi d’itinéraire. Je suis en pilote automatique et au bout de 500m, ma conscience reprend le dessus et me dit de vérifier mon positionnement sur la carte. Je sors le GPS et le regarde sous le poncho. J’ai la désagréable surprise de voir que je suis entre 2 GR qui viennent de se séparer 200m avant sur la carte. Pourtant je suis sur un chemin balisé rouge et blanc. Grrrr, que dois-je faire ? Revenir en arrière me parait mentalement insurmontable à ce moment-là. Je prends le pari que je suis sur le mauvais GR (c’est ce qui a l’air le plus près sur la trace GPS) et décide de couper à travers la prairie herbeuse pour rejoindre le bon à l’azimut. Bon ben là, je jardine car je ne croise aucun chemin et au bout de 300m environ, je me résigne à revenir sur mes pas. J’étais donc sur le bon chemin. J’ai dû perdre 20 à 30 minutes dans cette histoire.

La pluie faiblit un peu et je me raccroche à l’espoir que la tempête devait s’arrêter vers 5h (heure déjà dépassée). Le vent est toujours fort sur cet itinéraire de crête rocheuse bien technique qui m’emmène jusqu’au col de Terre Negre. La visibilité est toujours inférieure à 100m avec la brume.

Le vent souffle si fort qu’il me déstabilise par moments. Je n’en mène pas large surtout quand on a plusieurs centaines de mètres de vide à quelques pas. Le jour se lève quand j’arrive au col et la pluie est maintenant fine. Le vent se calme aussi. J’enlève les affaires de pluie en ne gardant plus que la petite veste et amorce ma descente sur un terrain redevenu plus facile vers le plateau de Beille.

Les nuages du ciel commencent à se déchirer seulement dans les 2 derniers kilomètres avant le ravitaillement, laissant apparaitre un peu de bleu par moment.

Je suis fatigué, j’ai faim. Mon état est toutefois plutôt bon maintenant avec l’état des pieds stabilisé et des muscles qui se sont adaptés au rythme (plus aucune tension musculaire nulle part).

Il fait presque soleil quand j’arrive au CP6 plateau de Beille au km 186 à 9h35. Je suis 134° (187 concurrents arriveront à ce CP)

On me dit d’aller pointer dans une cabane en bois que je n’avais pas vue et que je peux manger ensuite. Je n’ai pas du tout vu de CP en fait (il parait qu’il y avait des tipis et pleins de trucs de l’orga), je suis rentré directement après la cabane en bois dans le restaurant de la station en pensant que c’était un partenaire. Bon ben pas grave, je me pose les pieds à l’air et commande une bière. Je me renseigne sur ce que l’on peut manger. « Une omelette ? » « Oui parfait. » « Avec supplément pommes de terre ? » « Oui Oui, je prends aussi. Et ramenez du pain avec, tant qu’on y est. » C’est délicieux et je n’en laisse pas une miette (il me faudra juste une seconde bière pour bien faire couler). Nombreux sont les coureurs dans ce restaurant à faire pareil. J’y retrouve notamment Tony, Cédric et Nathalie qui repartent tous un peu avant moi.

Plein d’eau, pause toilettes et c’est reparti. Mes ampoules des petits doigts recommencent à me lancer et me faire boiter un peu par moment, mais comme on dit « ce n’est pas plus mal que si c’était pire »… donc en avant !

Je connais les difficultés nombreuses de balisage sur la section qui amène à Siguer grâce à la reconnaissance faite avec Sylvain. J’ai toujours un bon rythme en montée et je rattrape notamment le groupe qui contient Tony, Cédric et Nathalie. On discute un peu avec Tony.

L’horizon est dégagé aujourd’hui et les paysages sont grandioses.

Après de nombreuses heures à cheminer agréablement, une raide montée nous emmène jusqu’au Pla de Moncamp qui offre une très belle vue dégagée à 360° sur la montagne qui nous entoure. Le rythme est assez lent. Les ampoules sont douloureuses mais ça se gère. Je continue le bout de chemin avec le groupe mais vers la fin de cette longue descente, je commence à sentir ma cheville droite qui commence à me tirer. Je choisis de laisser partir le groupe qui veut pousser encore de nombreuses heures pour aller dormir à Goulier vers 1h du matin. Je vise plus raisonnablement d’aller dormir au gite communal gratuit mis à disposition par la mairie de Siguer (découvert aussi sur la reconniasance. Je me traine et fais souvent des arrêts pour enlever mes chaussures. J’ai la cheville droite qui me lance. Je ne sais pas trop dire si c’est mon conflit antéro-médial dans la gouttière, les releveurs ou une douleur par compression des chairs… ça me fait mal si je tire le pied vers le haut mais j’en souffre surtout en descente… Bizarre. Je desserre mon lacet droit et, finalement, comme je connais la suite de la descente, je ferai les 2 derniers kilomètres avec mes claquettes artisanales au pied en marchant certes lentement mais sans douleur. Je me dis pour la première fois que je vais surement tôt ou tard être mis hors délai si je n’arrive pas à maintenir des journées plus efficaces

J’arrive vers 19h au gîte de Siguer (km 209). Le gîte demande un détour de 200m par rapport au GR10. Il y a seulement un randonneur et moi pour 6 lits avec couvertures et de l’eau chaude. Une journée théorique de seulement 30km avec 1900m de D+ et 3200m de D-, bien trop court pour espérer rester dans les délais, mais pour le moment je veux seulement continuer à profiter le plus possible de mon aventure.

Je mange un bon morceau avec un lyophilisé rempli avec de l’eau chaude du robinet. J’appelle Audrey et lui fait part de ma gêne. Je lui dis que je verrais demain après un peu de repos. Je suis au lit à 20h en ayant refait mes pansements d’ampoules avec du Tape et en mettant mes chaussettes de contention pour la nuit (prises pour traitement nocturne des tendinites plus que pour la récup). Je mets le réveil à minuit et espère être à Goulier le lendemain. 

 

Jour 6 (dimanche 24/07) : baroud d’honneur

23h30 : je suis réveillé par un groupe de 4 concurrents qui débarque dans le gîte. 3 hommes et une femme. Ils font forcement du bruit dans ce petit périmètre où les lits entourent la table utilisée pour manger. Bon ben je suis réveillé du coup, je bouge ma cheville dans tous les sens sans constater de gêne. Je plie donc mon barda en grignotant quelques cacahouètes. Je remets les chaussettes normales et attache mes chaussettes Gore-Tex sur le sac pour les faire sécher. Cette solution est parfaite, mes pieds sont parfaitement restés au sec pendant toute la tempête de la nuit précédente et la marche du lendemain a pu « essorer » mes chaussures pour me permettre de remettre les chaussettes normales. Sur le pas de la porte, je me décide à tenter d’inventer un strap qui réduise le mouvement de remontée du pied (celui qui me faisait mal hier). Je réfléchis avant de trouver une prise bloquant ce sens (c’est beaucoup plus simple dans l’autre sens pour les releveurs). Je suis plutôt content du résultat, on verra bien comment ça tient. Je repars dans la nuit. Il n’est pas encore minuit. Je me sens reposé.

J’avance d’un bon pas et avale facilement la longue montée raide sur Lercoul (800m de D+ sur 4km), ensuite le chemin est un peu long mais facile (majoritairement de la route forestière et très peu de dénivelé). Un moment, je vois depuis la route forestière un petit chemin qui semble monter raide vers le lacet suivant. Un coup d’œil rapide à la carte me donne ‘limpression que c’est faisable de couper un lacet de route afin de gagner 300-400m de distance. Pour une raison que je ne pourrais pas expliquer, je me dis « ouais cool, fais le ! », mais au bout de 30m, plus de chemin et je suis en plein sous-bois. Et là, alors que la logique voudrait de revenir sur mes pas, je m’obstine à l’azimut, de nuit, dans une végétation de plus en plus épaisse. Je traverse un bon espace de ronces dans une pente très raide devant moi. Je m’insulte à voix haute « mais t’es vraiment trop con ! Ça n’est pas assez difficile comme ça pour avoir envie d’y mettre un petit goût de Barkley en plus ? ». Je me lacère les mollets nus et m’accroche pour arriver à passer en rampant sous le dernier mur de ronces qui me ramène enfin au lacet au-dessus. Vraiment pas rentable ce genre de connerie, 6° erreur et que je vais encore payer…

Après une petite minute à reprendre mon souffle, je repars sur un bon rythme sur le chemin facile et arrive bien frais au CP7 km 221 à 4h04 (141° sur 174 qui atteindront ce point). J’y fais la connaissance, en vrai, de Jean Charles Tibulle qui est le bénévole qui scanne. Nous avions parfois échangé un peu sur Facebook. Il me prend en photo et trouve que j’ai bonne mine. C’est clair que les ampoules brûlent un peu, mais que ça va. On m’informe que le podologue est présent sur le site mais est en train de dormir jusqu’à 5h. Oh super nouvelle ! Ben je file en attendant échanger un ticket au restaurant contre un bon repas chaud. L’accueil, malgré l’heure, est hyper chaleureux par des tenanciers qui ne dorment que 2*1h par 24h depuis 2-3 jours mais sont enthousiastes de l’aventure humaine et de l’échange culturel. Le buffet chaud est démentiel. Des pâtes à la carbonara avec du fromage râpé. Le tout à volonté avec en plus quelques entrées type taboulé et salades aussi à volonté. Je m’attable en commandant un verre de vin rouge supplémentaire à l’heure où l’on devrait plutôt prendre le petit déjeuner. Je mange 3 énormes assiettes et reprends un verre de vin rouge pour bien faire couler. Je suis rempli à ras bord et un sourire qui pourrait illustrer la notion de béatitude sur une carte postale !

Je suis en train de finir de manger quand Tony, Cédric et Nathalie arrivent, après avoir dormi, pour prendre un petit déjeuner. Ils ont bien souffert hier soir pour arriver jusqu’ici avec un état de fatigue bien avancé. Ils repartiront pendant que je serai en train de refaire soigner mes ampoules par le podologue. Pendant qu’il s’occupe de mes pieds, je réalise que ma petite virée dans les ronces m’a coûté une de mes précieuses chaussettes étanches qui a dû rester accrochée dans le passage car plus présente sur le sac. Punaise, je peste intérieurement encore contre ma connerie (la sixième). S’il se met à pleuvoir en continu, mes pieds sont morts.

Je repars vers 6h, peu avant le lever du jour. Mes pieds ne me font quasiment plus mal et j’avance donc avec plaisir sur une allure modérée et régulière. C’est un très gros tronçon qui nous attend puisque le prochain CP est distant de 62km. Moralement, faut être costaud pour se relancer sur un tronçon aussi long sans CP.

 Le chemin à flanc de rocher au-dessus du village d’Auzat est magnifique. Il fait beau mais pas trop chaud dans ce début de matinée. Je calcule que je dois faire une très grosse journée si je veux rester dans les temps au niveau de la prochaine barrière horaire dans 190km. Ça paraît tellement loin à ce moment-là, mais ça me décide en tout cas à prendre la variante autorisée du roadbook descendant raide sur Artiès plutôt que d’aller jusqu’à l’étang d’Izourt. Ceux qui comme moi ne vont pas vite doivent chercher aussi à être un peu stratège pour reprendre du temps quand c’est possible.

Je suis rempli de souvenirs en parcourant ce très beau chemin en balcon vertigineux au-dessus du village d’Auzat. En 2009, je faisais mon tout premier trail dans cette vallée pour aller relier 3 sommets à plus de 3000m. 46km et 3400m de D+ pour l’édition anniversaire des 20 ans du marathon du Montcalm que j’avais fini en presque 12h, avant dernier finisher. J’avais vraiment fini au courage en m’accrochant au serre-fil qui m’avait rattrapé dans la descente juste après le refuge Pinet.

Arrivé au bas de cette variante, je fais une pause d’une dizaine de minutes pour m’aérer un peu les pieds et en profite pour appeler Audrey. Elle est surprise que je lui dise aujourd’hui que tout va bien et que la douleur a disparu avec la nuit de repos. Elle continue de m’encourager et me tenir au courant des formidables messages de soutien et du compteur de la collecte qui monte toujours. Que c’est motivant ! Au moment où je repars, je vois arriver Cédric et Tony qui reviennent en sens inverse. Ils viennent de perdre 3/4h en allant tout droit sur la route au lieu de prendre le petit pont sur la gauche que m’indique ma carte. Nous repartons ensemble et reformons un groupe en discutant tous les 3. J’ai toujours un très bon rythme en montée et je sens que Tony est un peu dans le dur. Sur le plat de l’aqueduc qui suit, c’est Cédric qui nous pousse sur un rythme très rapide. Trop rapide pour moi, mais j’essaye de suivre quand même. En 2-3 kilomètres, ça me rebrûle les ampoules.

Une bifurcation nous interpelle un peu plus loin : Marc est indiqué en GR10 sur 2 itinéraires. Je fais un point topo et constate 2 distances assez proches, mais sensiblement moins de dénivelé à droite. La trace du roadbook passe à gauche et la trace GPS de la course passe à droite. Puisqu’on joue avec les barrières, on est tous les 3 d’accord pour prendre à droite.

Là encore, Cédric nous mène d’un rythme rapide sur un aqueduc plat et nous mettons un peu moins de 2 heures pour parcourir presque 10km jusqu’au village de Marc, km245. A Marc, pause à un robinet public pour remplir à nouveau les gourdes. Puis, juste avant la montée sortant du village, on se pose 15-20 minutes pour manger un peu. La température s’élève et atteint maintenant certainement les 30 degrés. 3-4 concurrents sont même en train de se baigner dans la rivière pour se rafraîchir.

Nous repartons vers 10h sous le soleil qui tape. Plusieurs longs kilomètres assez plats (voire très plats sur un aqueduc) où Tony titube du manque de sommeil. Il a peur de ne pas se réveiller s’il s’endort. Je lui propose de dormir 15 minutes pendant que je m’occupe de mes pieds et que je le réveillerai. Il accepte et Cédric préfère continuer sans s’arrêter. Je refais des pansements de Tape et aère un peu mes pieds qui ont chauffé avec ces kilomètres très (trop) rapides pendant que Tony ronfle bruyamment sur le bord de la canalisation. Il a mis moins d’une minute à s’endormir. Je le réveille, il me dit qu’il va mieux. Nous repartons et l’ascension suivante qui nous mène au refuge de Bassiès est bien raide au début et nous fait transpirer à grosses gouttes sous la chaleur maintenant lourde. Je fais le rapide calcul dans cette montée alors qu’il est midi : nous sommes à environ 250km pour 5 jours piles, soit la moyenne de 50km/jour. J’ai donc à ce moment perdu toute l’avance que j’avais encore à Merens. L’Ariège est terrible, je le savais. Je me dis donc que dans le meilleur des cas mon aventure devrait se terminer à la base de vie 2 de Bagnères de Luchon au km 413. Bah ce n’est pas grave, je savoure cette aventure et je le ferai encore avec plaisir sur tout ce que je pourrai parcourir.

Les derniers kilomètres jusqu’au refuge me paraissent longs et la température y est vraiment élevée. Mon corps fatigue visiblement et c’est aussi le cas de Tony. Le cirque glaciaire dans lequel nous nous trouvons est extraordinaire de beauté et nombreux sont les randonneurs du dimanche à se balader (normal en fait puisqu’on est dimanche). J’ai faim et Tony aussi, on espère s’acheter quelque chose au refuge.

C’est bondé de coureurs, Cédric et Nathalie sont là et repartent peu après notre arrivée. Je commande 2 bières et une grosse omelette pendant que Tony se « contente » d’une bière et 2 crêpes au Nutella. Je suis ravi de cheminer avec Tony, nos rythmes sont assez comparables et je ne veux pas prendre le risque de tenter d’accélérer. Tony hésite à le faire, il a peur de regretter s’il ne le fait pas.

Nous repartons du refuge après pas loin d’une heure de pause, non sans se repasser de la crème sur les pieds. On a quelques kilomètres pour monter au port de Saleix, puis une longue descente sur Aulus. Mes pieds me font mal, mais j’ai toujours un bon rythme de montée et l’arrivée au Port de Saleix se fait assez vite. Je mène le train et m’arrête plusieurs fois pour attendre Tony. Nous redoublons des concurrents. Dès le début de la descente, ça s’annonce compliqué pour moi. Mes pieds me font souffrir aux ampoules et je « boitouille » lentement dans cette descente. Tony me distance en suivant le rythme d’un autre concurrent, mais se retourne pour m’attendre un peu plus loin. Nous faisons une pause avec les pieds à l’air et je topote la suite du parcours sur ma carte IGN embarquée. Je lui propose de chercher un lieu de bivouac juste après Aulus-les bains vers le bord de la rivière d’Ars. Comme moi, il est fatigué et se range volontiers à mon plan. Nous sommes de plus en plus convaincus que nous ne pourrons pas relier la base de vie 2 dans le délai prévu. La descente devient interminable et dure d’innombrables heures. Un moment, Tony me distance et j’essaye de mettre mes claquettes à la place des chaussures, je parcours à peine un demi-kilomètre ainsi et trouve Tony complétement endormi le long du chemin. Il ne s’est même pas rendu compte qu’il s‘était endormi quand je le réveille en arrivant à sa hauteur. Le chemin étant régulièrement raide et avec beaucoup de pierres, je me résigne à remettre les chaussures. J’ai la gêne à la cheville droite qui revient dans le dernier tiers de cette descente. Zut, zut, ça m’avait laissé tranquille toute cette longue journée. Tony prend un peu d’avance dans le dernier kilomètre avant Aulus pour trouver le spot de bivouac. Je me traine en faisant une toute petite foulée afin de ne pas avoir mal et que cela reste une gêne dans la cheville. Tony doit être au lieu de bivouac 10 ou 15 minutes avant moi. Je lui dis qu’il peut repartir seul le lendemain s’il veut, que j’abandonnerai au prochain CP encore distant d’environ 20 km si ma cheville est encore douloureuse au reveil. Il doit être 19h. On mange un bon lyophilisé après une séance cryothérapie dans la rivière située à 20m de notre bivouac. Tony a pris un petit réchaud, ça m’évite de manger froid ce soir.

Je donne quelques nouvelles à Audrey, me soigne les pieds en refaisant les pansements des ampoules. Je prête aussi mon téléphone à Tony pour qu’elle donne des nouvelles à sa femme, le sien a pris l’eau lors de la tempête dans le secteur du Rhule et ne répond plus. Puis nous nous glissons dans nos duvet à même l’herbe sur le bord de la rivière (ce qui me faisait craindre un peu les moustiques, mais finalement la nuit se fera sans invasion d’insectes). Il doit être 21h30 et nous sommes tombés d’accord pour un réveil à 2h30 et une bonne nuit de repos (j’espère que la douleur de la cheville pourra ainsi disparaitre comme ce matin. Je mets mes pieds sur mon sac pour les surélever et je les ai emballés dans les chaussettes de contention. Verdict demain matin pour la récup de la cheville qui me tire même au repos.

Ce fut une très grosse journée sur un terrain très compliqué avec environ 51km (en enlevant les 5-6 avec les variantes prises), 3600m de D+ et 3600m de D-

Je sombre en quelques minutes dans le néant.

 

Jour 7 (lundi 25/07) : béatitude et abandon

Il doit être environ 1h30 quand Tony me secoue et me réveille. « Désolé Fredo, faut absolument que je reparte maintenant. Je dois tenter d’accélérer pour ne rien avoir à regretter plus tard. »

Mon cerveau est embrumé et il me faut plusieurs secondes pour recevoir l’information « OK, pas de souci, fais de ton mieux et merci pour tout ». Je ne l’entends même pas finaliser son sac et partir, je suis déjà rendormi.

Le réveil sonne à 2h30. Je me sens épuisé et pas réveillé du tout. Je teste les différents mouvements de cheville. Bof ça tire encore beaucoup. Je choisis de repousser le réveil à 5h. Le réveil sonne à nouveau, la cheville répond mieux, mais c’est pas terrible quand même. Je reste dans mon duvet à réfléchir. Est-ce que je me lève maintenant pour repartir. Le jour se lèvera bientôt. J’écoute le bruit de la rivière et je vois les étoiles tapissant le ciel au-dessus de ma tête. Je me sens extrêmement las et en même temps, je goutte dans ces instants à une forme extraordinaire de « zénitude ». Je ne suis pas dans une course, je suis juste seul face à moi-même au milieu d’un cadre naturel. Ce dépouillement volontaire, cet état de fatigue avancé nous fait clairement voir ce que nous transportons en nous. Ce qui nous constitue vraiment. Ce que nous voulons comme chemin de vie. A ce moment-là, je pense à Audrey, réalise le bonheur que j’ai eu de la rencontrer. Ce petit bonheur simple que nous vivons au quotidien, loin des aspects matérialistes de la société. La société passe à côté de moi, comme l’eau de cette rivière que j’entends, mais je ne fais qu’y tremper les pieds. Elle poursuit son rythme aliénant et effréné sans avoir de prise, ou si peu. Je pense à cet enfant que nous allons avoir et qui doit naitre dans 4 mois. Je pense à toutes les valeurs d’ouverture au monde et de tolérance que nous essaierons, sans doute maladroitement, de lui transmettre. Je sais que je veux lui « apprendre à voir ce qu’il y a au-delà du mur » pour reprendre une belle citation de Mike Horn quand il parle de ce que son père lui a apporté dans son enfance. Qu’il puisse explorer le monde intérieur et extérieur, à son rythme, à son envie : qu’il trouve lui aussi un beau chemin de vie.

Le prochain CP, distant de 20 kilomètres encore, est dans un autre monde à ce moment-là.

Je suis perdu dans mes pensées qui tournent en boucle dans mon cerveau quand une énorme limace marron vient me caresser la joue depuis le bord du col du duvet. Je fais un bond sur place et cela m’extirpe de mes pensées et de mon duvet par la même occasion. Hum, une limace affectueuse en quelque sorte pour avoir envie de me faire un gros bisou au réveil...

Je regarde ma montre et il est déjà 6h. Comment est-ce possible qu’une heure se soit écoulée dans cet état éveillé ? Je me bouge. Il faut repartir pour tester cette cheville et à minima rallier le prochain CP.

Je me remets de la crème sous les pieds, les ampoules ne me font pas mal. Mais mes pieds ont gonflé un peu cette nuit car ils rentrent moins bien dans la chaussure. Heureusement que j’ai pris 1.5 pointures de plus. En faisant des petits pas, ça ne tire pas en montée et je peux donc avancer sur un rythme lent mais à peu près normal. Un peu plus loin sur des petites portions de redescente, c’est galère et ça tire pas mal. Mais ça reste sous le seuil de douleur si je fais des petits pas. Bref, je savoure chaque paysage, les cascades magnifiques et les petites cabanes, les oiseaux, une marmotte, je suis dans mon élément. J’ai trouvé ce que j’étais venu chercher.

Le parcours monte encore à un superbe cirque glaciaire au col d’Escots. Mon allure est lente, la température monte avec le soleil.

Quelle chance d’être là. Et je suis heureux du chemin parcouru. J’aimerais pouvoir raconter tout cela pour le partager à ceux qui ne le vivront pas. L’écriture, aussi imparfaite soit-elle, pour faire revivre des émotions, est un levier formidable (surtout agrémenté de belles photos comme j’essaye d’en prendre régulièrement). J’espère que je ferais un beau récit qui fera rêver d’autres personnes et qu’il pourra donner l’envie à d’autres d’aller voir ce qu’il y a derrière le mur. La vie ce n’est pas ce que la société veut nous imposer. Non, la vie est dans la connaissance de soi et des autres, dans le partage et dans l’aventure.

Arrivé au col d’Escots, je me pose sur une terrasse où je trouve un jeune réunionnais, que j’avais aperçu plusieurs fois devant moi dans la montée, en train de faire sécher ses chaussettes. Je pensais que c’était un concurrent mais en fait il est venu croiser un de ses amis sur la course et ça lui fait un entrainement pour son premier ultra qu’il a prévu en octobre sur la diagonale des fous à la Réunion. Il devrait s’en sortir sans mal vu ce que j’ai vu.

Le tenancier ouvre, il est 9h. On commande une bière du coup. Puis une seconde aussi en fait. Ma cheville me tirant sérieusement avant la descente, j’ai décidé et muri ma décision : je vais arrêter au CP8. Bran, un breton et Fabio un italien arrivent et se laisse tenter aussi par une petite bière. Je repars un peu avant eux pour une descente longue, et très lente mais le cœur léger. La douleur est là mais reste contenu par la volonté mentale et l’allure lente. Je sais très bien que la distance restante à parcourir annihile mon espoir d’aller au bout sans prendre un gros risque de me détruire durablement. Et ce n’est pas ma vision de l’aventure.

Bien sûr, il n’aurait resté « que » 40 ou même 60 km, je serais reparti sans aucune hésitation. Là, il en reste plus de 500. Je choisis que l’aventure reste un pur plaisir et donc d’arrêter avant que cela devienne une galère.

Nous finissons cette descente avec Bran qui m’a rattrapé. Il souffre atrocement du dessous des pieds avec des grosses ampoules qui se sont infectées.

Je pointe donc au CP8 au gite d’Escolan sur la commune de Saint Lizier, km 285 après une « petite » journée de 20km pour 1500m de D+ et 1400m de D-. Il est 12h37 (soit 144h37 de course), je suis 134° pour 160 qui arriveront jusque-là. Je rends ma puce sans aucune déception. Jean Marc au pointage garde même ma puce dans sa poche sans me le dire. J’ai l’air bien et, pour lui, je risque de vouloir changer d’avis après avoir mangé.

Je mange un délicieux repas arrosé d’un quart de rouge, plaisante, bois plusieurs bières. Il y a de nombreux abandons ici dont Martine Vollay qui a des ampoules infectées et dont le mari nous offre un fond de génépi pour trinquer. Certains concurrents ne comprennent pas que je sois si heureux alors que je viens d’abandonner. Pourtant, c’est simple : je suis heureux car j’ai trouvé ce que j’étais venu chercher sur la course. J’ai vécu une aventure en tout point extraordinaire. Je stoppe avant que la douleur ne s’installe de façon permanente et ne transforme cet immense plaisir en chemin de croix.

Jean-Marc revient me demander si je veux vraiment abandonner. Oui oui, pas de souci. Scanne l’ami !

J’appelle Audrey. Je lui confirme que j’ai arrêté et que je n’ai pour le moment aucune idée de quand et comment je rentre. Je ne manquerai pas de la tenir informée dès que j’en saurai plus.

Je serais bien resté toute la journée dans ce superbe endroit en compagnie des tenanciers et des bénévoles. Il y a une chaleur humaine indescriptible partagée. Cyril nous fait évacuer en minibus par une suédoise sur le CP11 à Fos où je vais pouvoir retrouver Benoit, avant qu’un bus ne nous ramène à la BV2 à Bagnères de Luchon

Je discute un peu en anglais avec cette « viking », les équipes suédoise de PrioLife auront abattu un travail absolument extraordinaire sur cette course, tout comme l’ensemble des bénévoles sans qui il n’y aurait tout simplement pas eu de course.

Je suis content de retrouver Benoit à Fos, il est fatigué et peu de concurrents sont déjà passés pour le moment. Je pars explorer en claquettes le patelin pour réussir à trouver un bistro-brasserie ouvert chez qui j’achète quelques cannettes de bières fraiches à partager avec Benoît et les bénévoles. C’était bien la moindre des choses pour renvoyer l’ascenseur !

A peine 1 ou 2 heures après, le bus nous évacue et nous arrivons en fin d’après-midi à la BV2 à Bagnères de Luchon où je retrouve mon dropbag. Les bénévoles drivés par Marc et Evelyne sont adorables et je discute avec grand plaisir avec les rares concurrents présents (du top 10 de la course ou évacués après abandon comme moi). Je vais prendre une douche. La vache, elle est loin de la BV la douche, environ 1km… je me dis que ça m’aurait fait chier si j’étais toujours en course. L’équipe de recherche médicale de l’université de Milan est là aussi et nous passons de bons moments à parler. Par curiosité, je leur demande à monter sur leur balance-impédance. Alors que je pesais 62.8kg au départ avec 9.8% de masse grasse, je me retrouve donc après cette petite balade de 285km (plus proche de 300 je pense) et presque 20000m de D+ à 59.7kg et 6.5% de masse grasse… perdre 3kg en 6 jours, ça secoue la couenne du bonhomme !

Après un bon repas sur mes restes de provisions (et du dropbag), Marc me trouve une tente dehors pour passer la nuit, à partager avec un belge ayant abandonné aussi. J’y passe une nuit douce avec toujours la cheville qui me lance, mais heureux. Il doit tout juste être 20h

 

Jour 8 (mardi 26/07) : le retour

Réveil vers 7h, cheville qui ne lance plus mais est bien gonflée. Va falloir que je la glace ces prochains jours. Impression étrange de ne pas avoir à se remettre en route, ça manque un peu quand même à ce moment-là. Je file avec mon comparse belge à la gare SNCF de Bagnères (distant d’un gros kilomètre) acheter un billet retour. Le bus pars de la gare vers 14h et me ramènera à Bordeaux via Montréjeau et Toulouse en début de soirée.

Cool ! Je vais pouvoir aller aider un peu les bénévoles d’ici là et voir le départ de la Pastourale (la moitié de la course) qui part aujourd’hui à 12h avec une petite demi-douzaine de partants.

J’aide les bénévoles comme je peux avec des petites taches de cuisine ou de traduction en anglais auprès de concurrents ne parlant pas un mot de français. Je partage du coup le repas avec eux, on est presque une famille !

 Je suis interviewé aussi par Moustache et serait diffusé à l’émission du soir, ayant ainsi l’occasion de donner ma vision de la course, de mon abandon et de l’autonomie voulue. Je fais également l’interprète pour des interviews d’anglophones.

Je laisse une partie de mes vivres pour les ravitos et file prendre mon train après avoir chaleureusement remercié toute l’équipe de recherche médiale et les bénévoles.

L’aventure, ce n’est pas que les paysages traversés à pied, c’est aussi tous ces échanges humains avec les bénévoles, les concurrents et d’une manière générale toutes les personnes croisées sur le chemin. Une tranche de vie d’une intensité incroyable

Mon train me ramène vers ma chère Audrey qui vient me récupérer à la gare de Bordeaux, quelques heures de plus à rêver.

 

Réflexions post-course :

Tirer des enseignements sur ce genre d’aventure est essentiel. On apprend énormément sur soi et on développe et éprouve des stratégies d’adaptation à tous les aléas (physiquement et mentalement). On en revient plus sage.

Je suis heureux d’être parti sans aucune assistance, mais je pense que si je devais recommencer, j’aimerais le partager avec Audrey et peut être quelques amis qui me suivent.

Concernant le parcours en lui-même, je ne me suis donc quasiment jamais égaré. Je me suis senti lucide en permanence avec des nuits d’environ 3h en moyenne. Je n’ai jamais senti le sommeil me rattraper, à l’exception du début du jour 3 où j’ai fait une sieste d’une heure car je n’avais encore pu dormi que 2h en 2 nuits.

J’ai théoriquement parcouru 285km et 18000m de D+, en ressenti, je dirais plutôt 300km et 20000m de D+ en 144h37 (quasiment le même temps que pour les 330km du Tor). J’ai passé environ 22h à dormir sur 6 nuits (soit 3 fois plus que pour le Tor des géants sur la même durée) et j’estime avoir passé environ 90 à 100h en déplacement.

De plus, le fait d’avoir un niveau d’autonomie très important avec un gros sac, de devoir gérer (au moins une bonne partie) son alimentation, de devoir chercher son chemin, s’occuper du bivouac et d’avoir peu de soins rend cette aventure incomparablement plus difficile que le Tor des Géants.

Elle était sauvage, spartiate, et en même temps incroyablement humaine. Ainsi, je ne remercierai jamais assez Cyril Fonteville et tous ceux qui ont collaborés à la genèse de ce monstre de nous avoir permis de vivre celà.

Pendant toute la fin de la course après mon retour, j’ai continué à suivre les amis toujours sur les chemins. J’y pensais souvent chaque jour.

Au final, j’ai été ravi de voir que Nathalie, Karine, Filippo, Christian, Charles, Paolo, Yvan, mais surtout Cédric et Tony sont allés au bout de l’aventure.

Au passage d’ailleurs le dernier classé au CP8 à avoir pu rallier l’arrivée n’est autre que Tony, passé 127°, 3h avant moi. Comme ça, il n’a rien pu avoir à regretter !

En rentrant aussi, beaucoup de polémiques ou de coureurs qui ont lourdement critiqué l’organisation pour des ravitaillements insuffisants ou un niveau de prestations médicales (médecins et podologues) dangereuses pour les coureurs. Il y a même des coureurs qui veulent se regrouper pour intenter un procès à l’organisation pour espérer obtenir des dommages et intérêts… Cela m’a énormément attristé et je me dis que ces gens n’ont absolument pas compris les valeurs et l’esprit de cette aventure. Que malheureusement ce monstre hideux qu’est la société de consommation érigeant en dogme le sacro-saint principe de précaution n’est jamais très loin. Tout cela me donne la nausée.

Les semaines suivantes, mon cerveau s’est nourri des photos, des récits, des souvenirs… Il s’est échappé plusieurs heures par jour sur les chemins, en montagne. Immergé !

Puis peu à peu, il a fallu écrire pour « accoucher », pouvoir au fur et à mesure de l’écriture digérer ces moments et pouvoir tourner la page vers ma prochaine aventure : la naissance de notre enfant

 

Conclusion :

J’ai trouvé sur ce chemin ce que j’étais venu chercher et qui était déjà en moi. Je reviens plus riche de cette tranche de vie pour partager avec ceux que j’aime, en général, et avec Audrey, en particulier.

Je ne la remercierai jamais assez de m’épauler chaque jour et je veux passer le restant de mes jours à ses côtés.

La collecte pour réaliser les rêves d’enfants malades (encore ouverte 1 mois) comptabilise 760 euros et cela me fait infiniment plaisir.

 

 

Comme le disait Saint Exupéry : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ».

 

Album photos bonus : ICI

Commentaires  

#3 Yannick Lefrais 26-08-2016 22:06
Bon, pour l'instant je n'ai pas lu tout le texte. En fait je n'ai lu que le prologue... Mais j'ai bien rigolé car citer Socrate et patati et patata pour toujours finir les interviews par "ma bite et mon couteau"... :-* :P :lol:
Comme Bernard je compte bien faire tout le GR10 par tronçons mais toujours de façon assez sportive.
Bon je te laisse, j'ai du boulot : il faut que je lise la suite de ton récit.
#2 Frédéric Goumard 26-08-2016 08:29
merci et oui, je suis motivé à bloc pour en faire partie bernard de cette balade :-)
#1 Bernard Fleury 25-08-2016 18:22
merci fredo pour ton reportage sur cette aventure. c'etait passionant de bout en bout et surtout de voir l'evolution des sensations pendant le parcours fait bien comprendre qu'il y ait parfois necessite a faire des pauses, cela donne aussi envie de faire encore un bout de gr 10 mais a notre rythme l'an prochain(par exemple st lary /aulus ou st lary/mérens)sur 8 jours.je pense trouver 2 ou 3 amateurs,on en reparlera. a bientôt.